Citations sur Dans les cicatrices de la ville (15)
J'ai réussi à me délivrer de vos questions. Et je suis parti. Parce que je ne supportais pas de voir le vide que les camions ont laissé dans les regards et dans la mémoire. Je suis parti en me disant qu'en réalité avec les gens ivres, on ne parle jamais, on ne fait qu'écouter.
Ils nous saluent du regard ou d’un simple « B’soir ». Courbés sous le poids de leurs sacs remplis des trésors recueillis. Les ordures des autres. Ce qui se vendra pour se transformer en chaussures, tortillas, médicaments, eau, vie pour les leurs, résurrection des choses.
(p. 29, “Ils ne vivront pas comme nous”).
Avant le silence. De ce grand silence qu'ont laissé vos cris. Une petite vieille est passée. C'est la seule qui ait trouvé assez de courage pour vous répondre. Tous les autres, nous sommes restés comme ça, effrayés, sous le poids de tand de mots empoisonnés de douleur. Impuissants devant la souffrance qui ne se tait pas. La vieille vous a pris la main et vous a dit : "Pourquoi vous n'arrêtez pas de boire ma petite. Non, vous vous trompez. Cet endroit n'était pas à vous. Il n'était pas non plus au défunt. Cet endroit n'est à personne d'entre nous. Parce que nous, les personnes, tous nous sommes ici, dans ce monde, de passage. Nous sommes des passagers. Et quand nous partons, de tout ça nous n'emportons rien."
Vous saviez qu'humanité n'est pas la même chose que magie, mais que toutes deux sont filles de la rencontre et de l'enthousiasme, de la même famille.
Et puis, bien plus tard, vous avez dit tout bas, en pesant les mots avec un mouvement triste des yeux : "Ces gens-là, parce qu'ils nous voient ici, au milieu des ordures, ils pensent qu'on ne sait rien faire, que nous ne valons rien. C'est ça qu'ils pensent, avant tout."
Des brins qui vous reliaient les uns aux autres, au petit bonheur, pour qu'aucun ne tombe, tout seul, dans l'abîme de sa solitude. Leur fraternité s'étire tant qu'elle peut, partant d'ici ou là, pour se porter vers celui qui n'espère plus rien, celui qui n'a que sa vie à offrir, sa pauvre vie. Et l'amour qui nous rattache. L'amour qui naît sauvage comme une fleur dans un sol cimenté, dans l'espace de toutes les solitudes.
Tous ces gens s'efforçaient, brin à brin, de renforcer la corde, tandis que vous vous défaisiez fil à fil.
- Qu'est-ce qu'il vous faut pour accepter de retourner à l'hôpital ?
- Ne pas être aussi seul."
C'est comme ça que nous avons fait connaissance. Son histoire est celle de tant de petits garçons et de petites filles rendus orphelins par la violence ou par la pauvreté ou par les deux. Des orphelins livrés au monde trop tôt pour faire et gagner leur vie. Dans son cas, comme pour tant d'autres, cela ne veut pas dire ne pas avoir de famille. Mais que la vie, avec sa lame sèche et aiguisée, coupent tous les fils qui peuvent encore les unir dans leur histoire. orphelins par la solitude.
Chaque enfant est une plaie ouverte d'où jaillit un arbre aux fruits inconnus. Clara Luz est venue mettre une frontière à tant de souffrances. Elle est venue faire naître en vous la vie pour continuer.
Clara Luz "claire lumière", c'est comme ça qu'elle s'appellera la petite, avez-vous dit. Clara Luz vous a fait revenir à ce carrefour où vous gagniez votre vie en tendant la main, en vendant des chewing-gums. Elle vous a ramenée à votre famille. Elle vous a fait cadeau à tous d'un peu de paix.