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Critique de Zebra


José Carlos Somoza est né à La Havane en 1959. Il est psychiatre. « La Caverna de las ideas » (en français, La Caverne des Idées) est édité en espagnol chez Alfaguara, Madrid. Traduit en français par Marianne Million, le livre est publié chez Actes Sud (en 2002).

L'histoire paraît simple : Vous êtes en pleine Grèce antique. Tramaque, étudiant à l'Académie, est retrouvé mort, déchiqueté par les loups alors qu'il était parti la veille au soir chasser dans les collines jouxtant Athènes. Diagoras, son mentor, pense à un assassinat et confie l'enquête à Héraclès Pontor, le Déchiffreur d'Énigmes. Héraclès note alors plusieurs points troublants : Tramaque ne figure pas sur les registres de sortie de la ville (donc, il n'a pas pu être déchiqueté par les loups) ; Tramaque fréquentait Yasintra, une prostituée, et il se rendait souvent avec Antise et Eunio, étudiants comme lui, dans une « école de nuit un peu particulière », un lieu où ils rencontraient Ménechme, sculpteur, amateur d'orgies et de jeunes modèles masculins. Héraclès se demande si Tramaque n'a pas été tué par quelqu'un qui fréquentait cette « école de nuit » et qui aurait maquillé son crime : Héraclès livre ses doutes au lecteur, en pied de page. Mais les choses se compliquent : d'abord, parce que les notes du traducteur (Marianne Million ?) sont de l'auteur (José Carlos Somoza ?) ; ensuite, parce que cette histoire est elle-même tirée d'un papyrus écrit en grec ancien, papyrus qui a été traduit (mais qui en a assuré la traduction ?) ; et puis parce que le texte original contient apparemment un message secret dont il faut deviner la clef, alors même que, par son propre travail de traduction, le traducteur –en quelque sorte également auteur- influe sur le sens de l'histoire tel que perçu par le lecteur ; et puis, parce que le traducteur –qui n'est pas certain d'avoir fait les bonnes hypothèses- se confie à son amie Helena et note ses précieux conseils afin que l'assassin soit démasqué … car le traducteur se « prend » (mais oui !) pour le Déchiffreur d'Énigmes ; enfin, parce que celui-ci découvre que l'auteur du papyrus -un certain Montalo- a donné un titre à son papyrus, le titre de « La Caverne des Idées » (ça ne vous rappelle pas le titre de l'ouvrage que vous avez entre les mains ?) ; si on y ajoute le fait que le traducteur (de qui s'agit-il ?) devient un personnage du livre, qu'il est tellement obsédé par son travail qu'il en fait des cauchemars, qu'il se prend parfois pour les personnages de l'histoire qu'il traduit, qu'il découvre que Montalo aurait été retrouvé mort, le corps déchiqueté par les loups (tiens, comme Tramaque !?), qu'il y a douze chapitres comme il y avait les douze travaux d'Hercule (tiens, notre Déchiffreur d'Énigmes s'appelle aussi Hercule !?) et que son propre père avait écrit un poème dans lequel le lecteur devrait trouver une partie de la clef de l'énigme, etc. Bref, le lecteur finit par se demander qui est qui, s'il est dans le rêve ou dans la réalité, dans la Grèce antique ou en train de lire un livre en plein 21ème siècle, si l'histoire ne cache pas plusieurs histoires et si l'enquête qu'il mène (comme Héraclès) ne cache pas d'autres enquêtes ! Je ne vous dirai rien. Je m'en tiendrai à l'instruction donnée en page 130 : « Lecteur, ne dévoile pas le secret que contiennent ces pages » !

Quel était l'intention de José Carlos Somoza ? Nous démontrer que lire un texte, c'est le lire au travers de son propre parcours, de sa personnalité et de ses représentations ? Que c'est accepter le risque de se heurter à un message caché qu'il faut s'efforcer de comprendre ? Que c'est naviguer dans une galerie de miroirs, de reflets et de trompe-l'oeil, au risque de confondre alors la réalité et sa perception (une fiction ?), les mots et ce qu'ils évoquent (les images) ? Que c'est prendre le risque de perdre le sens commun (la raison) et de sombrer dans la folie (souvenez-vous que l'auteur est psychiatre !) ? Qu'un texte n'a pas toujours de clef ? C'est possible, et ça expliquerait le conseil qu'il donne au lecteur en dernière page : « Cessez de chercher des idées cachées, des clés de l'énigme ou des sens ultimes ! Cessez de lire et vivez ! Sortez du texte ! ».

J'ai apprécié ce polar antique pour son côté incroyable, original et addictif. le scenario est très léché et envoutant. Les personnages (au caractère bien trempé) sont attachants. Il y a de fréquentes pointes d'humour. Athènes est « plus vraie que nature ». L'écriture est simple et fluide. L'érudition est présente, mais sans excès. Toutefois, l'ouvrage est atypique, déstabilisant et parfois gore. Mon conseil : lisez-le, sauf si vous n'aimez pas la mythologie grecque, si vous avez peu de goût pour les polars, si vous détestez la complexité et si vous vous refusez à consommer de l'ergot de seigle fermenté pendant votre lecture.
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