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Critique de Diabolau


Soulier a eu beau claironner sur un ton provoc dont il a le secret qu'il écrivait du putassier pour attirer le lecteur ("la chambre de lactation"), moi on ne me la fait pas. Car ce serait oublier un peu vite que bien avant d'avoir écrit "la chambre", il a écrit ça.
Épilogue est le bouquin anti-putassier par excellence, puisqu'il aborde le sujet dont personne n'aime entendre parler : le vieillissement, la dépendance et leur cortège d'outrages et d'humiliations.
Vous chercherez en vain un best seller qui se déroule à la maison de retraite, ça n'intéresse personne. Ah si, pardon ! Depuis peu, il y en a un, fortement médiatisé à sa sortie, mais il ne s'agit hélas pas d'un roman, mais d'une enquête parfaitement documentée par un lanceur d'alerte : "les fossoyeurs" de Victor Castanet, qui a mis à jour le scandale des EHPAD Orpea, avec une belle tentative de corruption de la part du groupe incriminé pour tenter d'en empêcher la sortie.
Eh bien, si Soulier n'est pas un lanceur d'alerte et qu'il le fait à travers un roman, vous seriez surpris de constater que cette "privatisation" des EHPAD, il la dénonce déjà dans Épilogue, en... 2012, je crois.
Mais pourquoi donc la vieillesse n'intéresse personne ? Soulier l'explique avec brio : "Ce comportement était assez répandu chez les jeunes. Ils ne souhaitent pas qu'on les confronte à l'image de l'inéluctable déchéance qui guette le commun des mortels. Les vieux les renvoient à leur propre déchéance, à leur mort, qu'ils espèrent survenir dans un avenir si lointain qu'ils préfèrent éviter d'y penser."
Et de fait : Épilogue est le roman de Soulier dont on parle le moins souvent, et sans aucun doute le moins lu. CQFD.
C'est pour ça qu'on ne me la fait pas. La vérité, c'est que Soulier écrit sur le sujet qui l'inspire (et surtout, qui le met en colère) à un instant T, sans se préoccuper le moins du monde de si ça plaira à beaucoup de lecteurs, ou non.
Et si tout le monde procédait de la sorte, les étagères des librairies auraient un peu moins l'air d'afficher tout le temps la même rengaine, c'est moi qui vous le dis.
Martial Chainard a donc 84 printemps et il est depuis trois ans à la "résidence des deux tourterelles" lorsque son cancer se réveille de nouveau et qu'il ne se voit pas endurer encore les affres d'une chimio aux résultats hypothétiques. Il fait donc le bilan de sa vie d'hypocondriaque anonyme, une non-vie en quelque sorte, passée à ne pas faire grand-chose à force d'avoir peur de mourir. Quand soudain, une suite rapprochée d'événements rocambolesques (improbable, même, mais vu la puissance du propos, on pardonne tout) va lui donner ENFIN l'occasion d'un ÉPILOGUE du putain de tonnerre de Dieu. Héroïque, même. Les ingrédients ? Une amie de jeunesse atteinte d'Alzheimer, un salopard d'infirmier pervers, un vieillard acariâtre d'extrême-droite à la langue trop bien pendue, une jeune paumée héroïnomane éprise de littérature, et deux truands calamiteux qui m'ont rappelé les Laurel et Hardy de Pulp fiction, interprétés par Travolta et Samuel L. Jackson. Bref, des personnages éminemment souliériens.
Au début, il se fait documentaire, égrène la litanie (édifiante) de la vie quotidienne à l'EHPAD, le tout sans temps mort et sans chapitres. Je me demandais où il voulait en venir, jusqu'à ce que je comprenne la construction de génie du roman, directement reliée au titre : à l'EHPAD, c'est le prologue, qui occupe la première moitié du livre et dont la looooooongueur est parfaitement instrumentalisée, puis, à partir de l'évasion de Chainard, arrive une succession de chapitres courts et nerveux qui, tous ensemble, constituent... l'épilogue.
Mon seul reproche sera un petit travers récurrent dans les romans de Soulier (pas les nouvelles) : les digressions qui émaillent parfois la narration. Soulier dit ce qu'il pense et par chance, je suis presque toujours d'accord avec lui, mais c'est parfois un peu hors-sujet et on sent bien que la pensée de l'auteur se substitue à celle du personnage, ce qui enlève un peu de fluidité. Las, il s'agit sans doute du revers de la médaille au côté viscéral de ses romans, romans "idéologiques" au bon sens du terme, ou tout du moins engagés, et ce n'est pas moi qui le lui reprocherai, alors que je m'agace des écrivains qui ne veulent surtout fâcher personne de peur de perdre des lecteurs.
Bref ! C'est du Soulier comme on l'aime, avec des personnages aussi cabossés qu'attachants, de l'émotion sans sensiblerie, de l'humour sans pitreries, et surtout, une réflexion d'ampleur sociologique derrière.
Je l'ai lu avec ardeur, et franchement, je n'ai pas plus peur de vieillir qu'avant, alors faites comme moi, car ce truc est (encore une fois) injustement méconnu.
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