L'Épilogue au service d'un prologue.
Après la plume non moins entraînante d'
Olivier Norek, je n'avais aucune envie de m'aventurer dans la découverte d'un scribouillard anonyme, au risque d'une déconvenue malheureusement fréquente. Il me fallait donc une lecture riche, ciselée, où l'humain serait au premier plan. Soulier était tout désigné ; avec lui, j'étais à peu près sûr d'en avoir pour mon temps.
Jamais déçu avec
Frédéric Soulier (ou alors très ponctuellement, puis le talent revient vous cueillir de la plus belle des manières).
Deuxième roman de l'auteur, Épilogue met en scène les résidents d'un EHPAD (mais pas que). Des vieux en sursis, à la santé pas forcément reluisante, avec toute la dimension morbide et l'humour noir que l'on peut y associer. Il dresse plus particulièrement le portrait de Martial, octogénaire bourré de regrets et en pleine introspection alors que pointe le crépuscule de sa vie.
La réalité de la vie – de la survie ? – dans ce genre d'établissements est saisissante. On le sait, avec Soulier, l'âme humaine est au premier plan, au même titre que la chair et ses fluctuations, les viscères et leurs remugles. Quel meilleur sujet pour lui que le troisième âge (voire le quatrième ) ? On y voit le quotidien monotone d'êtres humains plus tout à fait considérés comme tels, l'on assiste au ballet des médocs et des déambulateurs, au contraste révoltant d'un personnel soignant inégalement doté en patience et en empathie, à des relations familiales bancales, souvent honteuses, tandis que chacun vit ici avec sa croix et ses humeurs.
Outre les descriptions pointues de la déchéance des corps, des esprits, l'auteur possède cette faculté de concerner le lecteur, de permettre à la souffrance de ses personnages de nous atteindre, d'autoriser leurs vies (et leurs morts prochaines) à nous toucher bref, de nous faire apprécier ces vieillards en dépit de leurs caractères exécrables, de leurs bosses, de leur amertume, un peu comme s'ils étaient à nous, ces vieux croulants.
Les portraits que
Frédéric Soulier brosse de chacun des résidents dans la première partie du roman s'apparente un exercice de style, une démonstration qui aurait pu devenir dommageable, ennuyeuse, mais qui finalement s'arrête au moment où débutent les péripéties qui mèneront Martial vers le début de sa fin de vie. Et puis, l'exercice de style est réussi ; tous ces détails, ces tranches de vie, ces expériences ayant conduit les anciens à devenir ce qu'ils sont contribuent grandement à la dimension humaine de ce livre.
Un évènement à la fois tragique et beau (par sa pureté et par la quantité d'amour qu'il requiert) conduit Martial vers une rencontre inattendue – en même temps, il n'attendait plus grand-chose de la vie, l'ancien. Une relation nouvelle, fraîche, franche, sans ambiguïté aucune, mais douloureusement empreinte d'emmerdes à venir. C'est pourtant cette situation inconfortable qui va bouleverser son mode de pensée, sa configuration émotionnelle, et qui va lui redonner goût à la vie. En un temps record, Martial va redécouvrir la compassion, l'amour même, le plaisir de la chair, de la bouffe et des corps, celui, pourtant si simple, du soleil sur sa peau flétrie, et puis l'aventure, la promesse, futile pour lui, décisive pour l'autre, d'une vie meilleure, plus optimiste.
Dans un sacrifice qui n'en a pas l'air, notre vieil ami va consacrer ses derniers instants à sauver une vie qui le mérite, à en réparer une autre aussi, préparant du même coup son âme à un bilan plus serein.
Voilà, il n'y a pas que la souffrance que l'auteur sait nous faire partager. Non, il distille dans ses récits des scènes poignantes, où la dévotion d'un être envers un autre rencontre ses propres aspirations, le met face à sa propre histoire, ses souvenirs, ses regrets. C'est à travers l'autre qu'il décide de vivre un peu, finalement, trop tard. Je tire mon chapeau à l'auteur pour la scène de la cabine téléphonique, travaillée avec soin et intelligence, ou alors simplement soufflée par ses tripes ; un exemple de maîtrise capable d'activer les mécanismes émotionnels les plus grippés.
Une histoire de rédemption que cet Épilogue ? Peut-être un peu. Une aventure humaine avant tout, l'incidence et l'influence d'un être sur un autre, pour le meilleur, c'est heureux.
Je n'ai à ce jour, dans la littérature contemporaine, pas trouvé de plume aussi fine, riche et émouvante, au style aussi affirmé que celle de
Frédéric Soulier. Ici encore, il fait montre d'un savoir-faire hallucinant que le modeste auteur que je suis jalouse forcément un peu. Si vous aimez les mots, la richesse d'un vocabulaire pointilleux et pertinent, la langue française dans toute sa splendeur mise au service d'une histoire touchante dans son humanité, il n'y a pas à tortiller, lisez Soulier ! Et pourquoi ne pas commencer par l'Épilogue ?
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