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Critique de Nourris_aux_mots


Notre jeunesse devient-elle, au fil des âges et en dehors d'un examen de conscience, une force bienfaitrice, ou bien une rancunière cruelle pour lui avoir fait vivre son lot de présents et de sacrifices ? Voilà, en effet, comment nous pourrions aborder le roman d'Olivier Sourisse, par cette question somme toute universelle, à laquelle on n'échappera pas un jour ou l'autre. Comme un moyen de se replonger dans son histoire intime pour la poursuivre encore et toujours, la faire durer jusqu'à son achèvement total. C'est qu'en termes de destinées, il y a celles, qui pour connaître et vivre leur amour, doivent passer par l'obligation de s'effacer, d'être un autre aux yeux des siens, lesquels n'étant pas toujours bienveillants. Ce que l'on comprend en suivant Léo et Siegeer, tous deux quinze ans, qui pour fuir la menace, vivent leur amour, terrés sous une barre H.L.M., dans un quartier de Nantes, carrefour de vies d'ouvriers, de chômeurs, de retraités, de jeunes en quête d'un horizon meilleur. Il faut dire que pour son entrée en matière, le narrateur, Léo, situe d'emblée le rejet dont il est la victime en évoquant le mépris de l'Éducation nationale envers ce « ce sale petit pédé (je n'ai pourtant rien avoué, je vous assure)» qui ne saura ni progresser socialement ni plonger dans ce bassin dans lequel on vient de le jeter, malgré sa peur du plongeoir, ses suffocations intérieures. Et bien sûr, sous le regard moqueur de ses petits camarades.

Mais encore, là – cette fin des classes - ne se situe pas le coeur du roman, et des menaces dont les deux garçons seront victimes. Puisque voici le temps des grandes vacances, le moment de se quitter. Pour l'un, partir au bord sur la côte Atlantique, pour l'autre, découvrir les Alpes, le Jura, à bord de la première voiture du père, qui à cinquante-huit ans, et pour fêter sa préretraite, vient de passer son permis de conduire. Comme un acte héroïque, peut-être le seul de sa vie tout entière. Ce qui en dit long sur sa fierté ou non d'être père. Ainsi donc, un mois de renoncement de soi-même, d'être arraché à l'être aimé. Un mois à jouer le « gentil fils ». Un mois à subir son soi visible, à être un soumis parfait, celui à qui on donnerait le bon Dieu sans confession. Alors qu'en parallèle, Léo sera confronté à l'appel des désirs nouveaux, au manque physique et moral de Siegeer. D'ailleurs, cette partie-là, ces vacances dans les Alpes, est un pan central du roman par lequel on va comprendre comment fonctionne l'esprit charnière de Léo. Tout comme, à son image, on est troublé, voire perturbé, par l'apparition de cette femme forte, Gaïa, dont les fantômes de ses fils vont le poursuivre et nous-mêmes avec, au-delà même de la fin du roman, lors du retour à Nantes de Léo, de sa vie reliée à celle de Siegeer. Et pour cause…

Pour être franc, je ne sais quel pourcentage du roman est romancé (selon l'éditeur, il s'agit d'un roman d'après une histoire vraie) mais une chose certaine, à lui seul ce roman est une méditation extraordinaire sur les relations intrafamiliales, les désirs des uns d'être rattachés ou non, à sa fonction de parent ou enfant.

Autant le dire, Mes amours souterraines secoue, nous fait poser beaucoup de questions autant qu'il réclame du recueillement sur cet amour dont la narration au présent le rend intergénérationnel et intemporel. Parce que oui, on ne peut s'empêcher de penser à ceux qui doivent se cacher d'eux-mêmes, à ceux qui aiment d'une façon miroir, à ceux tout simplement à qui on interdit d'aimer, sous prétexte qu'il faut suivre les préceptes "innés" de la tradition. Jusqu'à accepter d'être violé, de mourir (Mais oui, un châtiment mérité de Dieu pour tous ces pédés !).

En somme, voici là un roman coup de poing comme un témoignage indispensable, au style à la fois authentique et construit, souvent vertigineux, le tout sous forme d'un tableau politico-social en pleine révolution.
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