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Critique de afriqueah


Qu'est ce que donner ? En donnant, ne nous faisons pas, en premier lieu, plaisir ? en donnant n'attendons- nous pas un retour ? et lorsqu'on donne à ceux qui ne peuvent rendre, n'attendons nous pas, pour le moins, une reconnaissance ?
Marcel Mauss a étudié ce potlatch, échange avec obligation de réciprocité accumulée, donner prouvant le pouvoir de celui qui donne, contraignant le bénéficiaire, s'il ne veut pas se sentir déclassé, à recevoir et à rendre, ceci pas seulement dans les iles Trobriand, étudiées par Malinowski : mais, oui, si on invite 4 ou 5 fois des « amis », et que ce n'est pas suivi d'une invitation, ni même d'un merci, on s'arrête là.

Le thème principal du livre -génial- « la grève des bâttu », par une grande dame de la littérature africaine, Aminata Sow Fall, la plus grande selon Mabanckou, analyse le rapport des pauvres et des riches, ces derniers ayant besoin des premiers : pour exalter leur bonté, pour l'exhiber, pour en tirer des profits.
Transposition au Sénégal de la dialectique maitre et esclave , dans la Ville, pas nommée ,mais nous savons que Léopold Sédar Senghor avait décidé , dans les années 1970, de traquer les mendiants des rues de Dakar, même si Aminata Sow Fall en a nié le rapport avec son livre.
Dans la Ville, donc, un fonctionnaire, Mour Ndiaye, désirant monter dans la hiérarchie fait exécuter l'évacuation de tous les mendiants, estropiés, aveugles, vieillards en guenilles, femmes avec bébés.

Opération réussie: les pauvres mendiants, lassés d'être battus et chassés, se sont regroupés à l'extérieur de la ville.

Opération réussie surtout pour les pauvres, qui , eux, ont compris que mieux valait se tenir à la périphérie, car ce sont les riches qui ont besoin d'eux. Ils refusent d'être traités comme des chiens plus longtemps, ils font la grève de la mendicité ( en réalité, ils reçoivent encore plus, des cars entiers de « donneurs » se rendent dans le quartier des « Parcelles Assainies »).

Car donner aux pauvres est une règle morale dans l'Islam, et si, comme dans le roman, cette règle se double de la perspective d'une promotion politique, il est urgentissime de donner.
Et si on ne peut plus donner, alors pas de poste de vice-Président de la République prévue par le sorcier.
Catastrophe.
Sans les pauvres comme receveurs devant Dieu, votre bonté ne peut être prouvée.

Analyse tellement fine , que le bras droit de Mour, Kéba Dabo, probe, et obligé d'obéir aux ordres, a connu, lui, la pauvreté : il a vu sa mère se débattre contre la faim de ses propres enfants. Elle n'a jamais voulu se compromettre. Au lieu d'accepter la mendicité, avec les remerciements à la clé qu'elle aurait dû fournir, et les humiliations qu'elle aurait dû subir, elle a traversé la misère la tête haute, en faisant bouillir des marmites d'eau sans manioc…. Kéba , maintenant fonctionnaire, n'accepte pas de constater l'invasion des porteurs d'une calebasse, le bâttu, autour des voitures au feu rouge, essayant de faire pitié, rendant la vie des citoyens normaux impossible.

« Ton et originalité remarquable avec un regard éloigné de celui de ses consoeurs, empêtrées dans les thématiques attendues de la condition féminine, de l'excision, de la polygamie, de la dot ou de la stérilité » écrit Mabankou dans son Discours inaugural au Collège de France.
Polygamie, il en est pourtant question en filigrane pour donner de l'envergure à la femme de Mour, acceptant au nom de la tradition une seconde plus jeune et les dépenses qui vont avec, et pour enfoncer par là même Mour, achetant tout, y compris une petite.
Mais pas les mendiants trop malins.
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