chapitre I, introduction
Pour porter dans cet ordre de recherches la même liberté d'esprit dont on use en mathématiques, je me suis soigneusement abstenu de tourner en dérision les actions humaines, de les prendre en pitié ou en haine ; je n'ai voulu que les comprendre.
Pour ma part, je dis que cette chose est libre qui existe et agit par la seule nécessité de sa nature, et contrainte cette chose qui est déterminée par une autre à exister et à agir selon une modalité précise et déterminée.
Tout ce donc qui, dans la nature, nous parait ridicule, absurde ou mauvais, n'a cette apparence que parce que nous connaissons les choses en partie seulement, et ignorons pour la plus grande partie l'ordre de la nature entière et les liaisons qui sont entre les choses, de sorte que nous voulons que tout soit dirigé d’une façon conforme à notre raison. Et cependant ce que la raison affirme être mauvais ne l'est point, si l'on considère l'ordre et les lois de l'univers, mais seulement si l'on a égard aux seules lois de notre nature.
Nous entendons que, certaines conditions étant données, la Cité inspire aux sujets crainte et respect, si ces mêmes conditions cessent d'être données, il n'y a plus crainte ni respect, de sorte que la Cité elle-même cesse d'exister. Donc la Cité, pour rester maitresse d'elle-même, est tenue de maintenir les causes de crainte et de respect, sans quoi elle n'est plus une Cité. A celui ou à ceux qui détiennent le pouvoir public, il est donc également impossible de se produire en état d'ébriété ou de nudité avec des prostituées, de faire l'histrion, de violer ou de mépriser ouvertement les lois établies par eux-mêmes, et tout en agissant ainsi, de conserver leur majesté ; cela leur est tout aussi impossible que d'être et en même temps de ne pas être. Mettre à mort les sujets, les dépouiller, user de violence contre les vierges, et autres choses semblables, c'est changer la crainte en indignation, et conséquemment l'état civil en état de guerre.