AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations sur La Civilisation tibétaine (54)

La méditation et le rituel tantriques ne manquent pas chez les Gelugpa, pas plus que l'étude théorique chez les Nyingmapa.
Ce qui intéresse les deux écoles, c'est la nature du Noumène, de ce qui est au-delà des phénomènes et que j'appellerai désormais par commodité « l'Absolu » : il s'agit de l'atteindre pour assurer le salut. Le raisonnement seul ne peut y parvenir, mais il peut préparer la voie en détruisant les concepts conventionnels et les apparences : il a un côté négatif. La technique psychique, au contraire, peut y mener par une réalisation ineffable, insaisissable par la pensée discursive, mais positivement expérimentale. Pour les deux écoles, les “choses”, les éléments de notre monde phénoménal (les dharma) n'ont pas de réalité propre, en soi (nihsvabhàva). La Réalité réelle ne peut pas être définie. Faute de mieux, on l'appelle Dharma (ou dharmatà ; « corps de dharma », dharmakàya ; « espace de dharma », dharmadhàtu), Vacuité (sùnyata.), « Ainsité » ou Quiddité (tathatà), « Façon d'être » (en tibétain gnas-lugs), espace ou corps de « connaissance » ou « conscience » (jfkina). Paradoxalement, cette Réalité est même parfois qualifiée de « Nature propre » (svabhàva). Pour les deux écoles, cette Réalité ne peut être atteinte que par des expériences de yoga. Le Mâdhyamika a une certaine tendance négative : on ne peut rien affirmer de « l'Absolu » : il n'est ni ceci, ni cela. Le Yogàcàra a un côté plus positif. La Réalité foncière est Pensée (conscience pure, citta). Comme l'Espace, elle pénètre ou couvre tout et est comparée à un miroir lumineux qui ne reflète que sa propre lumière. De là les deux autres appellations de cette école : « Rien-que-Pensée » ou « Rien-que-représentation ». L'aspect ontologique de la Pensée-en-soi (en tibétain sems ou sems-nyid) se double d'un aspect épistémologique. Le monde phénoménal des « choses » n'est que représentation, et celle-ci est fonction d'une sorte de réceptacle psychique des profondeurs (àlayavijnàna). Le passage du Nouménal au phénoménal, de la Réalité aux « apparitions » (en tibétain snang-ba), et le rapport de l'un avec l'autre, sont trop complexes pour être exposés ici, mais d'une certaine manière ils ne sont que deux aspects d'une même chose.
p. 183
Commenter  J’apprécie          00
Faute de place, nous pourrons d'autant moins nous livrer à un exposé complet qu'il est indispensable de ne point négliger deux autres religions qui ont contribué à la civilisation tibétaine. La première est le Bön (ses fidèles : les Bönpo) qui, selon la tradition, a précédé le bouddhisme. La seconde est l'ensemble des notions et coutumes de la tradition indigène, ensemble religieux, mais non organisé, sans Église, sans dogme, sans prêtre et presque sans nom. Non pas que nous puissions saisir cette religion à l'état pur. Le bouddhisme a pénétré partout. Il s'est superposé ou juxtaposé aux croyances indigènes, ou autrement non bouddhiques, exactement comme le christianisme l'a fait en Europe. Il n'empêche que, sous le revêtement lamaïque et partiellement par des documents anciens, on peut en saisir des éléments.
Les auteurs européens ont souvent confondu cette religion sans nom avec le Bön en les qualifiant tous deux de “primitifs”. Les historiens tibétains y ont contribué dans la mesure où, pour eux, tout ce qui n'est pas bouddhisme est nécessairement barbare et démoniaque. Ils ont cependant conservé une dichotomie essentielle en distinguant entre la « religion des dieux » (lha-chos) et la « religion des hommes » (mi-chos). Par la première on entend, ou l'on a entendu successivement, tantôt le Bön, tantôt le bouddhisme, alors que la seconde désigne la tradition morale.
p. 182
Commenter  J’apprécie          00
CHAPITRE IV
Religion et coutume
TOUT le monde sait que la religion du Tibet est le bouddhisme du Grand Véhicule (Mahâyâna). Et c'est vrai, cette religion pénètre toutes les institutions et tous les habitants. Elle a pris une forme particulière, distincte du Mahâyàna du reste de l'Extrême-Orient, à l'exception de la Mongolie, du Sikkim et du Bhutan qui l'ont adoptée. Cette forme a été appelée lamaïsme à cause du rôle éminent joué par le lama (bla-ma), mot qui désigne, non pas tous les religieux, mais seulement les maîtres (guru). Nous verrons que ce rôle est en effet exceptionnellement important, même sur le plan doctrinal. Aussi n'avons-nous aucune raison de réviser cette appellation.
Il ne peut être question de donner ici un exposé tant soit peu complet de cette religion. C'est un monde d'une extrême complexité qui comporte de multiples aspects : une philosophie subtile et riche ; avec dialectique et métaphysique ; une psychologie des profondeurs très poussée et liée à des techniques de méditation et de maîtrise des fonctions psychophysiologiques (yoga) ; un panthéon infini ; des rituels innombrables ; des pratiques populaires ; des spéculations cosmographiques ; des systèmes de divination. Les Tibétains ont consacré des milliers de volumes à tous ces aspects, et la question se complique du fait que les bases conceptuelles dérivent de l'Inde (et un peu de la Chine).
p. 181
Commenter  J’apprécie          00
Il (Milarepa) se moque volontiers des moines. Voici ce qu'il a à dire des théologiens ou « logiciens » : « Le ventre rempli d'orgueil, vous rotez de vanité et vomissez de jalousie. Vous lâchez les pets du mépris des autres et déféquez les excréments du sarcasme »
Nous connaissons d'autres saints de ce type, comparables à saint François d'Assise et son ordre au début de leur histoire. De l'un d'eux, Dugpa Kunleg (XVIe siècle), nous possédons heureusement une autobiographie détaillée. Ce saint se mêle au peuple lors des fêtes de la montagne sacrée, s'enivre et chante avec lui en reproduisant le style et les formules des chants populaires. Il danse en s'accompagnant d'une guitare, et passe son temps à vagabonder de cette manière de pays en pays. Or on retrouve dans ses chants la critique de tous les ordres religieux de son temps. Il s'élève contre les rites exécutés machinalement comme des gestes extérieurs privés du contenu méditatif (les danses masquées, les pratiques terribles du tchöd), mais dénonce aussi d'autres abus.
« Dans les facultés des grands méditants, chacun a une vidyà (rig-ma, femme, représentant en principe la Sapience) à laquelle il est attaché. Quant à moi, yogin, je me contiens : je craindrais de devenir un jour père de famille. » Et : « Dans les facultés de logique, chacun a un moinillon pour ami de consolation. Quant à moi, yogin, je me contiens : je craindrais de commettre la faute d'éjaculer. » Ou, dans le domaine des intérêts économiques :
« j'ai visité les monastères de Dug. Dans ceux du Haut Dug, il y avait des querelles intestines au sujet des biens-fonds (gzhis-byes). Quant à moi, yogin, je me contiens : je craindrais de provoquer des luttes intestines entre frères-cousins (pha-spun, membres du même clan). » Nous avons vu plus haut comment il fut traité par sa famille.
Comme en Europe dans une situation analogue, l'incontinence des moines était aussi constante que les plaisanteries à son sujet. Un rituel très répandu de confession des péchés donne toute une liste de relations sexuelles considérées comme « incestueuses » ou défendues (nal) : on y trouve celles qui lient maître et disciple (slob-dpon gyis lha-nal). À l'époque moderne, les voyageurs ont souvent signalé des liaisons de moines avec des femmes à l'extérieur du monastère et surtout une certaine homosexualité à l'intérieur. Comme il fallait s'y attendre, cette dernière est particulièrement fréquente dans la corporation assez fermée des moines guerriers dont nous avons parlé plus haut : l'enlèvement d'un garçon peut y être le motif de duels de boxe ou d'escrime.
p. 166
Commenter  J’apprécie          00
Bien plus tard, au XVIIIe siècle, les critiques d'un recueil de discours semblent s'adresser à tous les ordres, y compris les réformés. « De nos jours, certains moines ont bien constamment la religion à la bouche, mais on voit à leur comportement qu'en fait ils n'y pensent point. Ils désirent quelque chose de gras (?) ; ils sont avides de viande, de bière, etc. Dès qu'il y a quelque part des chants, (des occasions) d'un commerce profitable ou des (exhibitions d'exploits) guerriers ou athlétiques, ils en sont ravis et s'y précipitent. » Ou encore : « Dès qu'il y a une occasion de faire une cérémonie pour eux-mêmes ou pour d'autres, avec sacrifices et réunions de laïcs, les lamas de nos jours tuent des animaux et goûtent à leur viande et sang, sans pour autant en éprouver la moindre honte. »
La voix de ces censeurs sévères de l'Église avait cependant peu de chances d'être entendue en dehors de l'Église, par le peuple. Les prêches sont inconnus, et les fidèles ne participent pas au culte. Une critique populaire a cependant existé, mais s'exprimait plutôt par des chants et des plaisanteries. Le Code de Thisong Detsen contient un article curieux : « On ne doit pas montrer de la haine aux savants et traducteurs indiens ou tibétains, même en poèmes. » Nous verrons encore qu'au Tibet ancien des spécialistes religieux, apparentés à des bardes, s'exprimaient en chants ou poèmes énigmatiques : une critique voilée était ainsi possible.
Il se trouve que le milieu de religieux qui a hérité de ce goût pour les chants et les allégories, et qui les a cultivés, ce milieu a aussi joué un rôle important dans l'expression de la prise de conscience des défauts inhérents à la société tibétaine. Ce sont des yogins errants et pauvres caractérisés par un comportement non conformiste. On les appelle, en tibétain, des « fous » (smyon-pa), mot qui implique à la fois des attitudes bizarres et l'inspiration « divine ». Ils ont un penchant, et un don indéniable, pour la poésie, le chant et la danse. Ils aiment rire et plaisanter. Ils se mêlent au peuple et prennent son parti. Aussi critiquent-ils violemment les abus de la société, y compris l'Église et tous les ordres religieux.
Déjà le grand saint et poète Milarepa (1040-1123 ou 1052-1135) imite les chants populaires, se distingue par des espiègleries et se dit « fou ».
p. 163
Commenter  J’apprécie          00
LA CIVILISATION TIBÉTAINE
LA SOCIÉTÉ
(ganaçakra) Ces « cercles » consistaient en de grands festins réunissant une foule de méditants masculins et féminins. Le yogin ne devait pas garder les richesses. Il les recevait et les réemployait. Tel est du moins le principe. Un yogin du XIVe siècle, Samten Palpa (1191- 1366), a de nombreux disciples et accumule nourritures et biens. « Non pas, disait-on, que les biens ne fussent pas venus en ses mains pour en jouir, mais il ne les gardait pas pour lui-même, fût-ce une aiguille et un fil... Maître et disciples ne se nourrissaient qu'en mendiant des aumônes. Parmi les terres et les biens du monastère ils ne gardaient même pas un champ ou un tapis. » Et pourtant les dons atteignaient parfois des proportions considérables. Gyer le méditant (1144-1204) offrit à son maître yogin et à sa femme (yab-yum) cent trois biens différents comprenant avant tout cinquante grandes familles (de « serfs »), un manuscrit de la Prajnàparamità et trois chevaux. La chronique insiste sans doute sur ces cas comme exemples de sainteté qui contrastaient peut-être avec d'autres cas de moindre désintéressement. Mais la distinction entre biens du monastère, qui ne sont pas critiqués, et biens personnels n'en demeure pas moins.

S'ils n'ont jamais été qu'une minorité, certains religieux ont pris au sérieux les commandements de leur religion et les ont traduits dans les faits. Ils ont même souvent été les porte-parole d'une critique des abus de la société. Souvent ces critiques sont formulées sur un ton austère : elles sont surtout dirigées par l'ordre réformé contre les ordres anciens. Nous avons déjà fait allusion aux violentes diatribes de Lha Lama Changchubô (début du XIe siècle) :
« Depuis le développement (des rites) de « libération » (tuer), chèvres et moutons n'ont plus de repos. Depuis le développement (des rites) “d'union” (sexuelle), les gens se mêlent sans égard aux liens de parenté. »
Ou encore : « Vos pratiques, de vous autres, tantristes “abbés de village”, peuvent paraître merveilleuses à d'autres s'ils en entendent parler dans d'autres royaumes. Mais ces pratiques qui vous font dire : « Nous sommes buddha » sont moins miséricordieuses encore que le Dieu du Karman. Vous êtes plus avides de viande que faucons et loups, plus libidineux qu'ânes et taureaux, plus avides de décomposition (?) que maisons en ruine ou poitrine de cadavre. Vous êtes moins propres que chiens et porcs. Ayant offert excréments, urine, sperme et sang aux dieux purs, vous renaîtrez dans (l'enfer du) marais de cadavres putréfiés. Quelle pitié ! »
p. 162-63
Commenter  J’apprécie          00
Imperturbablement attaché à ses structures médiévales dans un monde moderne, le gouvernement tibétain ne fit aucun effort pour s'adapter. Par crainte de modernisation, presque aucun étranger n'y fut admis, et même les jeunes Tibétains qui revenaient d'un stage en Angleterre avec des connaissances techniques furent empêchés d'agir. Or voici que la Chine reprend ses forces. À peine la révolution communiste accomplie (1949), elle s'applique à contrôler effectivement le Tibet, elle occupe rapidement le pays et signe, avec l'accord de l'Inde, un traité qui incorpore le Tibet dans la République démocratique comme une minorité ethnique jouissant d'une autonomie interne, maintient les privilèges du Dalaï-lama et du Panchen-lama et respecte la tradition religieuse.
Mais cette fois le pouvoir chinois est effectif. Des routes automobiles sont achevées en peu de temps (voir la carte), le Tsaidam est exploité pour son pétrole, une centrale électrique est établie à Lhassa et d'autres sont en construction ailleurs. Des écoles et des hôpitaux sont créés et des cadres formés en Chine. Les corvées et prestations obligatoires et gratuites sont supprimées et on crée des coopératives. Certes la religion est en principe respectée, mais l'Église craint que ce ne soit que pour un temps, vu la nouvelle éducation de la jeunesse, et que la civilisation traditionnelle ne soit désormais menacée de disparition. Dans des circonstances mal établies, une révolte armée éclate, appuyée sur les Khampa, guerriers fiers qui s'étaient déjà autrefois à maintes reprises opposés à la Chine. Elle est vite matée, et le Dalai-lama s'enfuit dans l'Inde avec son gouvernement (1959), bientôt suivi de milliers de Tibétains.
p. 80
Commenter  J’apprécie          00
Pendant que le 13e Dalai-lama régnait avec autorité et compétence, des accusations de parti pris pro-chinois obligèrent le Panchen-lama à s'enfuir en Mongolie et en Chine. La Chine républicaine n'avait pas la force de s'imposer au Tibet. Mais, pendant les deux guerres mondiales, elle fut l'alliée des grandes puissances européennes. Ni celles-ci, ni apparemment le Tibet ne voulurent ou ne purent proclamer l'indépendance du Tibet.
p. 79
Commenter  J’apprécie          00
Nous sommes ainsi à l'aube des temps modernes où le Tibet est, à son corps défendant, impliqué dans la politique des grandes puissances. Pendant que son patron et protecteur, la Chine impériale, allait s'écroulant sous les coups des puissances d'Europe et du Japon, l'Angleterre aux Indes et la Russie au nord se ménagèrent peu à peu des positions fortes, la première avec plus de succès que la seconde. Au Tibet, apparemment stable et content, le petit jeu des intrigues et des mésententes se perpétuait.
Du 8e au 12e, les Dalai-lama furent insignifiants ou moururent jeunes (1758-1875). Par contre, certains Panchen-lama se distinguèrent.
p. 78
Commenter  J’apprécie          00
Des missionnaires italiens, bien accueillis, avaient pendant ce temps construit une église à Lhasa et avaient rédigé des traités apologétiques en tibétain après avoir eux-mêmes étudié la langue et la religion dans les facultés théologiques (le jésuite Ippolito Desideri, 1716-1721 ; trois capucins : 1707-1711, 1716-1733, 1741-1745). Entre-temps, aussi, le Sikkim avait été converti au lamaïsme par un religieux de l'ordre des Dzogchenpa, Lhatsün (1597-1655), plusieurs monastères et temples y avaient été construits et le premier Maharaja, Phuntsog Namgyal, y avait été reconnu en 1657.
Le protectorat chinois fut assez souple et doux pour que le gouverne-ment tibétain l'acceptât. Il est vrai que les provinces de l'Est et du Nord-Est (Amdo et Kham) furent en grande partie perdues. Après la révolte d'un prince Khoshot du Kokonor, toute la région fut érigée en province chinoise (Ts'ing-hai) en 1724. Dans tout l'est du Tibet, les Chinois toléraient des principautés dirigées par des chefs indigènes (t'ou-sseu) qui recevaient l'investiture avec sceau et diplôme. À Lhassa, la Chine était représentée par deux ministres (amban) et une petite garnison. Le « roi » ou régent du Tibet ne fut plus nommé par la Chine à partir de 1750 et le Dalai-lama fut tacitement reconnu comme souverain du Tibet, excepté l'Amdo et le Kham. Le Ladakh qui se trouvait d'abord sous la suzeraineté des Moguls fut ensuite annexé au Kashmir depuis la guerre des Dogra (1834-184. La Chine protégeait dès lors le Tibet contre des invasions étrangères (notamment celle des Gurkha, 1788-1791), mais elle se réservait le droit de surveiller désormais le choix d'un nouveau Dalai-lama ou Panchen-lama en imposant plusieurs candidatures parmi lesquelles la décision devait s'opérer par un tirage au sort en présence des amban (1791). Par ailleurs, les empereurs de Chine comblaient de faveurs le lamaïsme en Chine et en Mongolie en y créant des temples et des monastères et en y invitant, souvent à demeure, de grands lamas incarnés de l'ordre des Gelugpa devenu l'Église officielle.
p. 75
Commenter  J’apprécie          00





    Lecteurs (4) Voir plus



    Quiz Voir plus

    Quelle guerre ?

    Autant en emporte le vent, de Margaret Mitchell

    la guerre hispano américaine
    la guerre d'indépendance américaine
    la guerre de sécession
    la guerre des pâtissiers

    12 questions
    3230 lecteurs ont répondu
    Thèmes : guerre , histoire militaire , histoireCréer un quiz sur ce livre

    {* *}