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Citations sur La Civilisation tibétaine (54)

Au Japon, les comparaisons peuvent s'étendre tout au long de son histoire, sauf évidemment à l'époque moderne où la différence est de taille : alors que le Japon a su s'adapter rapidement au monde moderne tout en conservant sa tradition, le Tibet n'a pas pu en faire autant et a été conduit à une rupture brutale qui pourrait être fatale pour sa tradition.
Dans le domaine culturel aussi, il est évident que, si les institutions sont semblables, les formes ne sont pas exactement les mêmes, et c'est justement en cela que réside l'intérêt des études tibétaines. De part et d'autre, une grande religion organisée a été adoptée et s'est superposée sur des systèmes indigènes. Mais les différences entre le christianisme et le bouddhisme et entre les substrats religieux de l'Extrême-Orient et de l'Europe ont naturellement déterminé des aspects particuliers.
Nous n'essaierons pas de dresser ici une liste de similitudes. Le lecteur, familiarisé avec le passé européen, l'aura fait de lui-même, et nous nous sommes parfois permis de les souligner. Mais, pour conclure, nous pouvons essayer de dire un mot d'un aspect dont nous n'avons pas pu parler et qui est d'ailleurs difficile à saisir, à savoir l'homme et son caractère. Comment en parler alors que l'auteur n'a pas eu la chance de vivre au Tibet et qu'il ne connaît les Tibétains que pour en avoir fréquenté quelques-uns en dehors de leur pays ? Et par surcroît, comment comparer l'homme tibétain à l'homme du Moyen-Âge ou de la Renaissance dont on ne peut se faire une idée qu'à travers quelques ouvrages ? Cependant la tentation est grande, tant est forte l'impression d'avoir affaire à des types analogues de caractères. Certes, il n'est pas question de ramener à une formule simple la variété des caractères individuels. Mais certains traits sont tout de même frappants.
Ce qui semble le plus remarquable, c'est une sorte de condensation ou de concentration, un caractère entier, et, de ce fait, souvent excessif. On dirait que sentiment et pensée ne sont pas dilués ou dispersés, mais concentrés. L'homme s'adonne à un sentiment jusqu'au bout, sans hésitation, avec une sorte d'opiniâtreté et de simplicité. Il peut être très doux ou très violent, très dévoué et très fourbe ou rusé. Il est gai, il aime chanter, parler et plaisanter. Mais il peut aussi obstinément se renfermer, se replier sur lui-même et se refuser aux contingences d'un monde dont il refuse la réalité. Quand il croit — et il croit —, sa foi est profonde, entière, simple et absorbante.
p. 339
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« La Civilisation tibétaine », Rolf Alfred Stein (extraits,) éd. L’Asiathèque © (1962/87) 2011
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Une civilisation est un fait objectif que l'historien n'a aucune raison, aucun droit non plus, de juger, et surtout de juger par rapport aux “valeurs” supposées de celle qui est actuellement la sienne. Elle est aussi un tout, tel un organisme dont toutes les parties dépendent les unes des autres et parmi lesquelles on ne peut pas établir une hiérarchie de valeurs. Voit-on un zoologue qui parlerait avec mépris du venin des serpents ou un physiologiste qui s'offusquerait de la défécation ?
Ceci bien souligné, il est bon de se rendre compte que de nombreuses caractéristiques institutionnelles ou mentales de la civilisation tibétaine ressemblent à celles du Moyen Âge européen. Certes, le terme est vague, autant que celui de féodalité, et un médiéviste y trouverait sans doute à redire. Mais entre le début et la fin du Moyen Âge, et même, si l'on veut, de la Renaissance, entre des structures spécifiquement féodales et des institutions tardives qui en peuvent être les résidus, il y a suffisamment de marge pour permettre des comparaisons avec des faits tibétains qui, eux aussi, s'échelonnent sur de nombreux siècles et ont évidemment changé au cours de cette longue histoire. Il reste qu'à lire les œuvres de Huizinga, de Marc Bloch ou de Lucien Febvre, le tibétisant pourrait à chaque instant citer des faits tibétains correspondants en marge des pages ; il pourrait insérer des passages entiers de ces livres dans un traité de sociologie tibétaine. Il n'aurait pour cela qu'à remplacer les noms et, bien entendu, faire abstraction des dates. Ce ne sont là que des impressions, et il faut souhaiter ...
p. 337
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Les saints poètes et les « inventeurs de trésors », kagyüpa et nyingmapa, se distinguent des auteurs savants par leur non-conformisme vis-à-vis de l'Église, par leurs attitudes paradoxales et leur vie errante. Ils se disent volontiers “fou” (smyon-pa), et c'est sous ce vocable qu'ils sont connus et aimés du peuple. Nous avons déjà eu l'occasion de noter leur caractère espiègle et leurs critiques et sarcasmes à l'égard des abus des grands (ch. p. 163). Ces attitudes expliquent les deux sources de création littéraire dont nous venons de parler : d'une part, leur ravissement ou leur inspiration de “fou” qui accèdent au « trésor de l'esprit » ; et de l'autre, leur connaissance des traditions, des chants et de la poésie du peuple à la vie duquel ils aimaient se mêler.
L'épopée aurait été créée et chantée un jour, d'un jet, par un religieux nyingmapa en état d'ivresse. L'auteur de la pièce de théâtre Norsang s'appelle lui-même, dans le colophon, Tsering Wangdü, le “fou” de Dingchen, et il ajoute qu'il n'a fait que prononcer des paroles insensées et des plaisanteries. L'inventeur du Kathang denga, Orgyan Lingpa, est, selon le colophon, célèbre sous le nom de « fou des trésors » (gter-smyon). Et si le “fou” Milarepa est devenu le patron des acteurs et des saltimbanques ambulants, le patron et dieu du théâtre est le saint nyingmapa Thangton gyalpo (XVe siècle) qu'on appelle aussi « le fou du pays vide » (lung-stong smyon-pa). Fait remarquable, l'auteur des biographies de Milarepa et de Marpa, qui se cache généralement sous le pseudonyme « le yogin qui erre dans les cimetières », est Heruka, le “fou” de Tsang (XVe).
Or ces deux biographies, particulièrement célèbres et aimées du public tibétain, se distinguent de tant d'autres, assez ennuyeuses et pédantes, par leur langue proche de la langue parlée et leur style vivant, et surtout par l'intérêt porté à mille détails de la vie réelle. C'est bien cette communion des saints “fou” avec les sources d'inspiration populaires qui en fait les plus grands créateurs de la littérature tibétaine.
p. 314-15
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ARTS ET LETTRES
Un autre Gelugpa, Lobsang Tenpe gyetsen, incarné de Tagphu, rédige en 1737 une histoire célèbre en remaniant des contes bouddhiques anciens illustrant la technique du transfert (pho-ba) de “l'âme” d'un mourant dans le cadavre frais d'un homme ou d'un oiseau. C'est « L'avadàna de (l'oiseau) Cou Bleu (Nilakantha) », (Mgrin-sngon rtogs-brjod), écrit à la gloire du bodhisattva Avalokitdvara, (bibliographie, n° 5, p. 62-71). Il a été traduit en mongol et, selon des informations orales, il serait représenté sous forme de théâtre en même temps que la « vie » d'Atisha. Il a, à son tour, servi de modèle à une autre œuvre de fiction, « La Loi religieuse des Oiseaux » (Bya-chos rin-chenphreng-ba ; n° 214a), dans laquelle Avalokitdvara, incarné en coucou, « roi des oiseaux », prêche aux oiseaux.
Autant qu'on le sache dans l'état actuel de nos connaissances, il n'y a pas eu, à proprement parler, de développement ou d'innovation depuis l'époque de l'adaptation aux XIe et XIIe siècles. À partir de cette date on trouve plutôt côte à côte un genre plus proche de la tradition indigène, malgré l'adaptation, et un autre plus savant ou pédant d'inspiration indienne.
p. 308-09
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Les lamas savants, imbus de modèles indiens, ont toujours et dans tous les ordres consacré une partie de leur immense activité à des œuvres poétiques. Longchenpa (Drime Ozer, 1308-1363), deuxième grand patron des Nyingmapa et des Dzogchenpa (après Padmasambhava), a écrit des contes (gtam) édifiants sur le modèle des avadàna indiens, tels que « l'Histoire du Lièvre Intelligent ».
p. 308
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L'histoire de la naissance et de la vie de Shenrab Mibo forme le sujet d'un sûtra bönpo (le gZer-myi g). Elle est calquée sur celle du buddha Sâkyamuni. La conception miraculeuse s'opère par deux rayons de lumière, un blanc et un rouge, qui entrent respectivement dans le sommet de la tête du père et de la mère. Le premier, sous forme de flèche, représente l'élément masculin (sperme) ; le second, sous forme de fuseau, l'élément féminin (sang). Tout le reste de la conception et de la formation de l'embryon est conforme aux notions de la médecine lamaïque ou indienne.
p. 277
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Les Bönpo avaient adopté la politique de l'imitation du bouddhisme. Ils ont créé leur collection de textes sacrés (Kanjur et Tanjur) supposés être traduits de langues étrangères. Ils ont leurs « neuf véhicules » comme les Nyingmapa, leurs monastères et leur vocabulaire technique de philosophie et de méditation, calqué sur celui du lamaïsme. Seulement, au lieu de tourner autour des objets sacrés dans le sens des aiguilles d'une montre, comme on le fait dans le lamaïsme, ils le font dans le sens contraire (et leur svastika se distingue de celui du lamaïsme par le même sens opposé). Au lieu de dire om mani padme hung, ils récitent om ma-tri mu-ye sa-le 'du (en langue zhangzhung des Bönpo, cela signifie : « salut ('du) à la Mère (?, matri), Espace (muye) lumineux (sale). » Dans le tantrisme aussi, on évoque souvent la Mère-Espace (yum-dbyings) comme principe ultime. Malgré le pouvoir grandissant de l'Église lamaïque, des monastères bönpo ont été fondés un peu partout et se sont maintenus en partie jusqu'à nos jours, surtout dans l'est du Tibet et au nord du Népal. Tout au long de son histoire du dernier millénaire, le Bön a eu ses lieux saints, ses fidèles, ses écrivains religieux et même ses missionnaires. Ceux-ci ont surtout converti divers aborigènes des marches sino-tibétaines, les Mosso ou Nakhi ...
p. 275
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Les textes chinois anciens et les manuscrits tibétains de Touen-houang, nous le verrons, invitent plutôt à y voir des sorciers ou des prêtres qui faisaient des sacrifices à l'occasion des funérailles et des serments et qui guérissaient des malades par des exorcismes. L'exploit de voler au ciel en chevauchant un tambour est certes typique pour les chamanes, mais on le retrouve chez les tantristes indiens qui pratiquaient aussi le meurtre rituel encore au XIe siècle. Le vêtement bleu, de son côté, était également porté par des tantristes, et nous avons vu que tel était l'habillement du pandit indien qui aurait introduit une forme du Bon au Tibet. Selon la tradition bouddhique, les bourreaux qui torturaient et découpaient les prisonniers dans la geôle du roi Moka portaient des vêtements bleus et de longs cheveux, comme les tantristes et les Nyingmapa.
Quoi qu'il en soit, on ne peut manquer d'être frappé par l'importance que la tradition, tant lamaïque que bönpo, accorde aux origines étrangères localisées au sud-ouest du Tibet où se rencontrent l'Inde et les prolongements de l'Iran. Le saint fondateur du bön, Shenrab Mibo, « l'Homme de la lignée des Shen », serait né à Olmo Lungring qu'on situe toujours soit au Zhangzhung, soit au Tazig (Iran).
p. 267-68
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L'histoire et les caractéristiques de cette religion sont encore peu connues et assez incertaines, du moins en ce qui concerne la période ancienne. Nous l'avons déjà dit, si elle existait sans doute au Tibet avant l'introduction du bouddhisme, cela ne veut pas dire qu'elle était l'unique religion et encore moins une religion primitive. Les documents sur ce sujet sont de deux sortes. Ce sont, d'une part, des écrits lamaïques et beunpo assez tardifs (à partir du XIIe siècle) qui donnent parfois un bref historique schématique et peu cohérent, ainsi que des aperçus sur les croyances qui ne sont pas exempts d'esprit partisan. D'un autre côté, nous avons les manuscrits de Touen-houang qui remontent aux IXe-Xe siècles, ou un peu avant, mais ne nous livrent que des fragments sans exposé systématique. S'ils sont plus anciens, ils ne datent sans doute que de l'époque où un syncrétisme s'était déjà élaboré. Les chroniques trouvées parmi ces manuscrits contiennent déjà des allusions à des concepts bouddhiques, mais — tout en parlant parfois de rites — pas un mot du Bön. S'il faut en croire les chroniques postérieures — et il y a des raisons de croire à une transmission assez fidèle de la tradition — le Bon n'était qu'une des composantes du monde religieux, les Bönpo un des genres de prêtres du Tibet ancien. À côté d'eux, et au même titre, figurent les “contes” et les “énigmes”, leurs narrateurs et leurs chanteurs, la « religion des hommes » et la « bonne coutume ».
p. 261-62
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De nombreuses traditions, différentes dans les détails, mais identiques dans leur structure, se rapportent à la création du site habité et à la venue du premier chef et ancêtre. Rien d'étonnant à cela. On ne s'intéresse pas tant à la création du monde en général — quand on en parle, on emprunte la cosmographie bouddhique — qu'à autant de micro-mondes qu'il y a de sites habités et de groupes humains qui y vivent. Chaque clan ou chaque famille noble a sa lignée ancestrale, sorte de blason qui authentifie sa noblesse, chaque petit pays a sa montagne sacrée.
p. 236
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