Citations sur Le mystérieux cercle Benedict, tome 1 (22)
Ce matin-là, le quotidien arborait les titres habituels, dont beaucoup étaient consacrés à ce qu'on appelait communément "la crise". La situation était désormais catastrophique, pouvait-on lire : le système scolaire, les finances, la pollution, la criminalité, la météo... tout, en somme, était dans un état calamiteux et partout la population réclamait un profonde - non, une complète- réforme de la politique du gouvernement. "Du changement maintenant !", tel était le slogan qui s'affichait sur tous les murs de la ville (certes, la revendication n'était pas très nouvelle).
Même s'il ne regardait pas très souvent la télévision, Reynie savait que les informations étaient chaque jour, depuis des années, largement consacrées à la Crise.
L'épreuve se révéla déconcertante. La première partie correspondait plus ou moins à ce à quoi s'attendait Reynie - une ou deux questions sur les parallélogrammes, une autre sur des tonnes de ceci et des kilos de cela, une autre encore où l'on demandait de calculer le temps qui s'écoulerait avant la collision de deux trains lancés l'un vers l'autre. (A sa réponse, Reynie ajouta dans la marge, et avec une moue pénétrée, que si deux trains empruntaient une même portion de voie en sens opposés, il était fort probable que leur conducteurs s'en apercevraient et freineraient aussitôt pour éviter la catastrophe, qui n'aurait donc pas lieu).
Au terme des épreuves que vous venez de passer, j'aurais aimé vous pouvoir vous annoncer que vous vous apprêtez à entrer dans une période de bonheur. Malheureusement, ce que j'ai à vous dire est au contraire très désagréable. Très, très désagréable.
N’oublie pas ceci : la famille est souvent issue du sang, mais elle n’est pas liée au sang.
- A vous entendre, on dirait qu'il n'y a aucune règle ici, remarqua Sticky.
- C'est vrai, George, répondit Jillson. Pratiquement aucune. Vous pouvez vous habiller comme vous voulez, pourvu que vous ayez un pantalon, une chemise et des chaussures. Vous pouvez faire votre toilette aussi souvent que vous voulez, ou jamais, du moment que vous êtes propres pour aller en classe. Vous pouvez manger ce que vous voulez, et quand vous voulez, durant les heures d'ouverture du réfectoire. Le soir, vous pouvez éteindre aussi tard que vous voulez avant dix heures. Et vous pouvez vous promener où vous voulez dans l'enceinte de la Pension, tant que vous ne quittez pas les allées et les couloirs à la bande jaune.
- La Crise, c'est la première étape, expliqua Reynie en pointant le doigt sur le communiqué. Mr Curtain, rappelez-vous, considère la peur comme la composante essentielle de la personnalité humaine. C'est pour ça que le Murmureur plaît tant aux Messagers : il apaise leurs craintes et Mr Curtain s'appuie là-dessus pour les motiver. Imaginez alors ce qui se passerait s'il avait créé une peur que tout le onde aurait en commun, une peur partagée par l'ensemble de l'opinion publique !
- La peur que tout soit désespérément incontrôlable, dit Kate.
- Exactement ! L'étape suivante serait alors d'apaiser cette peur-là avec le message approprié. Tous les messagers aiment passionnément le Murmureur, n'est-ce pas ? Eh bien, Mr Curtain a l'intention de faire en sorte que tous les êtres humains éprouvent la même chose que les Messages !
- Tout le monde aimera le Murmureur ? s'étonna Sticky.
- Non, dit Reynie. Tout le monde l'aimera "lui".
Il se jeta au bas de son lit et secoua Sticky. Celui-ci ouvrit un oeil, puis le referma pour ouvrir l'autre, comme s'il était désormais trop effrayé pour regarder le monde avec les deux à la fois.
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Mais n'est-ce pas ce à quoi ressemble une famille ? La sensation que chacun est relié aux autres et que si un élément venait à manquer tout s'écroulerait ?
Les membres du Mystérieux Cercle Benedict découvraient tout cela, et cependant, à certains égards, la Pension leur rappelait les autres établissements : apprendre par cœur était déconseillé mais exigé, participer en classe était encouragé mais rarement toléré [...] .
Dans son esprit, Reynie voyait toujours les visages de ses amis. Sticky, Kate, Constance... et tous le regardaient avec anxiété. Ensemble, ils avaient traversé tant d'épreuves ! Allait-il vraiment les abandonner ? "On n'est jamais aussi seul que lorsqu'on trahit ses amis", pensa Reynie.