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Critique de belcantoeu


Inferno (1897) est l'un des deux livres que le suédois August Strindberg a écrit en français, et si cet ouvrage est moins connu que ses oeuvres théâtrales, il est central pour connaitre l'écrivain car c'est l'autobiographie, l'autoportrait puissant en forme de roman, d'un homme qui a beaucoup souffert de sa paranoïa. Il a aussi écrit des dizaines d'articles dans des revues françaises entre 1883 et 1911, et déclara d'ailleurs en 1894, «Écrire en français dans Le Figaro fut la réalisation d'un rêve de jeunesse». Comme d'autres artistes de son époque, il rêvait de conquérir Paris.
Sa vie privée et ses écrits, notamment Mademoiselle Julie, ont suscité un tel scandale qu'il a été amené à quitter son pays. Et à l'hostilité réelle de la société suédoise conservatrice et pétrie de luthérianisme, s'est ajouté le harcèlement incessant de multiples ennemis imaginaires, sans compter l'échec de ses trois mariages, échec prévisible quand on sait qu'en 1895, il a écrit un article intitulé de l'infériorité de la femme. Ce délire paranoïaque de persécution se superpose à un fond d'instabilité qui l'ont conduit à être non seulement écrivain, mais aussi peintre, photographe, télégraphiste, chimiste, et même alchimiste. Il s'est installé à Paris et sa région (Versailles, Passy, Neuilly) en 1894, et a déménagé chaque fois qu'il croyait que ses ennemis avaient découvert son adresse, en partie - semble-il - intoxiqué par l'absinthe. Sa femme l'espionne, ses ennemis le jalousent et devinent ses pensées. Il même pensé qu'ils s'étaient installés dans une chambre voisine de la sienne pour le tuer avec une machine électrique. Comme ses ennemis arrivaient toujours à le retrouver, poursuivi par «les puissances», il a fui à Dieppe, puis est rentré en Suède chez un ami médecin qui l'a soigné un moment, et chez qui il a trouvé le réconfort, avant de s'en aller, persuadé que cet homme était jaloux de ses succès comme scientifique. Il part alors en Autriche, puis revient en Suède, et sa vie vagabonde l'a aussi amené à Berlin, en Suisse romande, au Danemark, et à Bruxelles.
C'est en Suède, et donc en français, qu'il a rédigé son autobiographie Inferno, présentée comme un journal, mais en réalité journal retravaillé, et cela après avoir déjà publié également en français, outre ses articles, Plaidoyer pour un fou (1887) où il avait décrit les déboires du premier de ses trois mariages. Inferno aborde son instabilité, qui conduit à l'échec de son deuxième mariage, et à sa grande crise psychologique, morale, spirituelle et artistique des années 1895-1897. Sa deuxième épouse le quitte lorsqu'il se lance dans des expériences de chimie, voulant trouver l'or des alchimistes, et prouver que le soufre n'est pas un corps simple. D'autres articles expliquent que l'iode est un dérivé de la houille et que la terre n'est pas ronde. de protestant, il devient un athée virulent, puis tombe à Paris dans la superstition et le mysticisme, sans oublier une brève phase de catholicisme, passant chaque fois d'une certitude à l'autre. Dans son enfance, il avait déjà eu une phase de ferveur religieuse intense. Il correspond avec Nietzsche, et finalement, il croira trouver son port d'attache et une explication à ses maux dans les théories de son compatriote Emmanuel Swedenborg (1688-1772), curieux mélange à la fois de vrai scientifique et de théologien mystique imprégné des thèses illuministes. Swedenborg influença les débuts de la psychologie, et semble lui-même avoir été atteint de troubles psychiatriques. Son oeuvre, écrit-il, l'a été après dix-sept ans de conversations avec les anges. Il a été surnommé le Léonard de Vinci du Nord ainsi que l'Aristote de Suède. Strinberg a eu connaissance de ses travaux à la lecture à Paris de Seraphîta (1835), déconcertant récit De Balzac qui date de sa période gnostique, pas la meilleure !
Inferno commence par une introduction sous forme de courte pièce inspirée des théories de Swedenborg, qui annoncent la mort de l'Église, remplacée par une «Nouvelle Jérusalem» et un «Nouveau Ciel». Strindberg commence ainsi son autobiographie par planter le cadre mystique de sa crise et de ses croyances. Lucifer (étymologiquement porteur de lumière), y prend la tête d'une croisade contre Dieu, cruel manipulateur cynique, pour défendre les hommes, et cela sous le regard d'un esprit encore supérieur, l'Éternel. La «fin heureuse» de cette introduction, rassurante pour Strindberg, voit Dieu acculé à la repentance.
Le roman est ensuite divisé en une vingtaine de chapitres décrivant donc sa vie et sa paranoïa, les forces invisibles qui l'encerclent et décident de son destin, son obsession de trouver l'or des alchimistes, sa vaine recherche du sens des «signes» qu'il reçoit, sa peur d'être interné, son gout pour la liturgie, pour l'occultisme, son culte des symboles…

Plus tard, il écrira notamment La Danse de mort (1900), reprenant le thème du couple uni de manière inséparable, autant par la haine que par l'amour Pas découragé pour autant, semble—t-il, il se remariera encore en 1901.

Ne manquez pas de voir sa maison-musée si vous passez à Stockholm.
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