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Critique de fabienne2909


Avec ce titre intriguant s'il en est – Liv Strömquist a le talent de savoir choisir le nom de ses livres – je poursuis la découverte de l'oeuvre féministe et engagée de cette autrice suédoise de bande-dessinée. Si j'ai été emballée par mes précédentes lectures, si comme d'habitude il y a de nombreuses choses justes et bien vues, cette fois-ci je n'ai pas toujours été convaincue par les histoires de ce volume, dont la principale m'a parue un peu confuse et relevant plus d'un militantisme idéologique que de l'universel.

Liv Strömquist s'intéresse ici aux sentiments, particulièrement ceux de la gent masculine, impactés par le patriarcat et une société de plus en plus individualiste, qui exige des hommes de se tenir à distance de leurs émotions, « féminines », et de leurs relations intimes. Distance également envisagée comme une manière pour les hommes de garder une position dominante tout en maintenant les femmes dans l'ombre. Paradoxalement, ces hommes férus d'indépendance sont pourtant dépendants de leurs partenaires, qui leur assurent une sécurité affective et qui supportent cet état de fait parce qu'elles sont dans une orientation relationnelle les poussant à oublier leurs besoins au profit de ceux des autres. Ce cercle vicieux a une solution pour Liv Strömquist : aux femmes d'abandonner la recherche auprès de leur compagnon d'une intimité qu'elles ne pourront obtenir qu'avec leurs enfants et/ou leurs amies. Bon. Je ne me suis pas trop retrouvée dans cette observation tranchée des relations amoureuses (il semblerait toutefois que ce soit une bonne nouvelle) mais admettons, puisque la thèse défendue est intéressante : pourquoi les femmes veulent-elles rester à tout prix avec un homme qui les maintient à une telle distance affective ?

Afin de creuser ce premier thème, vient une histoire sur le prix Bobonne attribué à Nancy Reagan. Pour l'autrice, qui reprend les expressions des sociologues Ulrich Beck et Elisabeth Beck-Gernsheim, s'occuper d'un grabataire comme Nancy avec son Ronald est entrer dans une « zone franche de l'amour » car « combler d'affection l'objet de son amour prend alors la dimension d'un acte contre une société sans coeur », « l'amour [étant] comme du communisme dans le capitalisme ». Moralité : la garde-malade s'oublie au profit de l'autre, dans une relation ici encore à sens unique.

Le capitalisme dans l'amour, le mot est lâché et sera donc filé dans les histoires suivantes, qui portent sur la question du droit de propriété dans l'amour et plus particulièrement dans le couple. Pourquoi penser, dans une relation hétérosexuelle (dommage que la réflexion ne soit portée que sur ce versant) que le corps de l'autre nous appartient ? L'autrice nous démontre ainsi que la relation à sens unique va encore dans le même sens, puisque ce sont historiquement les hommes qui s'approprient le corps des femmes (rien de mieux pour poursuivre une lignée qu'une fraîche et jeune vierge). L'occasion de nous parler une nouvelle fois de l'évolution de la perception du mariage, de l'irruption de l'amour dans celui-ci, qui ne réussit pas à abolir sa nature transactionnelle, mais surtout qui fait entrer le droit de propriété sur le corps de son partenaire comme une partie intégrante du couple. L'amour et le droit de propriété sur le corps sont donc rattachés l'un à l'autre. Pour terminer, Liv Strömquist convoque aussi Jürgen Habermas, selon qui vivre dans une société capitaliste nous amène à nous considérer comme des marchandises (et de citer des exemples d'expressions usuelles assez significatifs : être sur le marché, investir dans une relation, « parce que je le vaux bien », ce qui d'ailleurs souligne le profond cynisme de ce slogan...). L'expansion de l'ego (confondu souvent avec « développement personnel ») et le capitalisme font aussi, selon l'autrice, que nous avons tendance à considérer ce que nous aimons comme nos biens.

L'amour romantique est ainsi accusé de tous les maux : il vient enlever sa liberté aux femmes, qui avant son institutionnalisation dans le couple, pouvaient invoquer les déesses de la fertilité, faire des blagues ou folâtrer dans le foin, et qui après, ont entraîné la promotion de la pudibonderie pour les femmes, le patriarcat venant le justifier : si ces dernières veulent s'assurer une sécurité économique, il faut épouser un homme fortuné ; mais à l'inverse, quel intérêt le futur époux aurait-il à l'épouser ? Pour pouvoir être le seul à être autorisé à coucher avec elle.

Là où je deviens (encore) moins convaincue, c'est quand Liv Strömquist démontre que le concept de propriété sur le corps est absurde et relève d'un non-sens, même si cela heurte nos sentiments, pour la raison que les tractations autour du sexe et des relations de couple sont de puissantes génératrices de sentiments. Au début d'une relation on est dans l'incertitude, ce qui crée de l'inconfort. Et c'est cette position d'inconfort qui dramatise les histoires d'amour et génère des sentiments. Et que la menace de rompre génère de la passion, tandis que l'absence de conflits entraîne un lien affectif plus faible… L'amour naîtrait donc de la négociation entre deux personnes libres d'un contrat exclusif et de préférence permanent qui régit le droit de propriété sur le corps de son partenaire… Théorie absolument froide et une nouvelle fois très tranchée, en ce qu'elle fait entrer toutes les relations dans les mêmes cases, et je n'ai pas l'impression que toutes les relations amoureuses doivent être vécues dans le drame pour être passionnées.

Cette théorie de l'amour libéré a été traité par la suite dans « La rose la plus rouge », que j'ai lu avant celui-ci, et que j'avais trouvé plus percutant. J'ai eu une sensation de redite sur l'histoire du mariage et de l'irruption dans celui-ci de l'amour, ainsi que la critique d'un individualisme forcené empêchant toute velléité de relation intime durable, provoquant chez moi une sensation de redite assez ennuyeuse. Pourtant, c'est toujours aussi documenté (et pas les mêmes sources entre les deux ouvrages), mais cette fois, cette vision unilatérale des choses a plus tenu pour moi de la démonstration au forceps que de la nuance. Peut-être aurais-je dû lire ce tome d'abord…
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