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Critique de oblo


oblo
26 septembre 2018
"Ce que je crains le plus, c'est l'obscurité. Tout y devient gris" dit un ancien poète à Don Roumata lors d'un dîner officiel. A la différence de ce poète, Roumata n'est pas réellement de ce monde. C'est un Terrien, membre de l'Institut d'Histoire expérimentale, présent sur la planète Arkanar en tant qu'observateur. Sur cette planète, un empire est sous le joug de Don Reba, ministre de la Sûreté, lequel fait la chasse aux intellectuels et aux lettrés, les pourchassant et les éliminant sans que cela ne déclenche la moindre révolte. Tandis que la tyrannie accentue son emprise, Roumata hésite : doit-il ou non intervenir dans l'histoire de cette planète, lui dont les avantages technologiques lui confèrent le statut de quasi dieu ? Déjà, Roumata est intervenu à plusieurs reprises pour sauver d'illustres savants, utilisant ses armes futuristes et même un hélicoptère. Au fur et à mesure que le récit avance, qu'Arkanar s'enfonce dans le chaos, que les morts s'accumulent et que la menace sur ceux qui comptent pour Roumata s'accentue (son serviteur Ouno, la jeune Kira ...), le dilemme croît pour Roumata : rester dans son rôle d'observateur (et donc de dieu) et laisser faire la nature humaine ou utiliser ses pouvoirs (technologiques, il s'entend) pour faire basculer le destin des hommes de cette planète.

Les frères Strougatski livrent, avec Il est difficile d'être un dieu, une fable politique doublée d'une interrogation sur la nature et la volonté du divin. La fable politique prend corps dans cet Etat aux relents médiévaux qu'est cet empire sur lequel règne, de fait mais non officiellement, Don Reba. Homme froid, apathique, calculateur, c'est un tyran dans toute sa splendeur et toute son horreur. La scène de l'interrogatoire de Don Roumata, dans ses propres appartements, en est un exemple. Il y a effectivement, sur cette planète Arkanar, un régime qui ressemble aux pires régimes totalitaires que la Terre ait connus. La chasse aux lettrés, le nivellement par la bêtise, l'alliance avec les gangs brutaux font penser à l'URSS stalinienne. le rôle des hommes d'Eglise dans la brutalisation de la société, notamment par l'établissement d'écoles de torture, rappelle les sombres heures de l'Inquisition espagnole au seizième siècle. La milice des Gris, dont on coupe bientôt les têtes, ressemble quant à elle aux divisions de SA sous le IIIème Reich.

Politiquement, le livre pose deux questions morales. La première concerne les peuples qui subissent les vilenies des puissants. Quelle doit être leur attitude ? La révolte est-elle, en certains cas, un devoir ? L'homme passif face à la tyrannie mérite-t-il autre chose, finalement, que la servitude ? Ce ne sont pas seulement les responsabilités des pouvoirs politiques qui sont ici mis en lumière, mais également celles des peuples qui, par leur silence, leur inaction, légitiment le régime totalitaire. On fera aisément le lien avec L Histoire (terrienne, celle-là) contemporaine. La deuxième question concerne l'individu, en tant que membre du corps organique de l'Etat. Roumata, par son statut et sa nature véritable, incarne l'homme qui, individuellement peut agir. Représentant des élites, cette situation est à la fois l'occasion de légitimer son statut social et celle de prendre un parti contraire au sien naturel.

Cela dit, considérer Roumata à Arkanar comme un simple mortel, ce serait négliger son statut de demi-dieu. Ce statut se justifie par la puissance potentielle qu'il détient, et qui le fait craindre de Don Reba, ainsi que par son omniscience (sa connaissance des événements passés, sur Terre et sur Arkanar, et des probables événements futurs). Cependant, dans un dialogue avec le docteur Boudakh, Roumata révèle que l'action, même divine, ne mène à rien, sinon à un nouveau chaos. Pallier aux manques matériels ou punir les forts au nom d'une prétendue justice ne fera qu'émerger une nouvelle classe de dominants ; inculquer aux hommes le goût du travail et du savoir, c'est modeler un homme nouveau, donc différent de l'humanité vraie. Dieu n'a qu'une possibilité : laisser l'homme gouverner et sa vie, et les siens.

Oeuvre pessimiste qui laisse à l'homme un rôle majoritairement passif et, donc, de victime, Il est difficile d'être un dieu n'est pas tant un classique de la science-fiction qu'un essai politique et philosophique romancé.
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