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Critique de Chestakova


Le récit que nous livre William Styron à travers son roman, est une fiction brûlante à plus d'un titre. Tout d'abord parce qu'elle relate l'histoire de l'unique révolte d'esclaves qui ait eu lieu aux États-Unis, une trentaine d'années avant que le Congrès ne vote le XIIIème amendement à la constitution qui en établit l'abolition. Elle présente par ailleurs l'originalité de s'appuyer sur un texte que Thomas Ruffin Gray, avocat de Nat Turner, principal instigateur de l'insurrection, aurait rédigé à partir de ses propos, recueillis en prison avant qu'il ne soit exécuté par pendaison. Ainsi recèle-t-elle une force hors du commun par ce qu'elle dit mais plus encore par ce qu'elle ne dit pas, donnant toute liberté au lecteur d'interroger le monde d'aujourd'hui à la lumière de ce qu'il fut hier. Ces journées d'août 1831, qui firent 55 victimes blanches dans le comté de Southampton en Virginie, s'inscrivent dans ces temps modernes d'après la découverte de l'Amérique, lorsque 12 millions d'esclaves furent réduits à l'état de marchandise et transformés en outils, cantonnés dans une infériorité systémique et privés de toute identité. Ainsi en est-il du personnage principal du roman, il grandit à Turner's Mill, et comme la maison, il porte le nom de son propriétaire, seul son prénom Nathaniel, le rattache au souvenir du père, qui choisira de fuir et qu'il ne connaîtra pas. le livre raconte comment la société esclavagiste repose toute entière sur une haine ordinaire, une haine qui ne dit pas son nom mais s'inscrit dans la relégation, en marge d'un monde blanc inaccessible. Dans cette marge-là, Nat Turner qui sait lire et écrire, qui connaît la Bible et figure parmi les esclaves qui vivent au plus près du quotidien des maîtres, se saisit de cette haine en boomerang. Elle est son unique étendard, elle inscrit son insurrection dans une impasse sanglante, qui ne fera pas bien sûr, frémir l'ordre social, y compris au-delà de l'abolition de l'esclavage. On se rappellera de ce drapeau confédéré, brandit le mercredi 06 janvier dans les murs du Capitole.
J'ai relu avec intérêt l'une des nouvelles écrites par John Edgar Wideman qui a publié récemment « Mémoires d'Amérique », elle s'appelle « Nat Turner se confesse »
J'en citerai en conclusion un extrait, Wideman fait dire à Nat Turner :
« Les blancs ne changent pas. Refusent de changer. Alors ils t'ont changé toi. T'ont modelé-plié, tordu, évidé-Pour que tu sois qui tu es. Es-tu celui que tu souhaites être, ou celui que les blancs souhaitent que tu sois. Tu fais partie de leur plan Nat Turner. Mais pas partie d'eux, Nat Turner, eux, ils font partie de toi. Retire-les. Retire-toi de leur plan. » (p191)
Ce roman de William Styron aide à prendre la mesure, de ce que la haine a laissé de traces dans la société américaine, de ce qu'elle a laissé de traces partout dans le monde bien après que les empires coloniaux soient tombés.
Guérir de l'esclavage, une longue route pour l'humanité.
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