La mort d'un homme ne guérit rien, n'efface pas celle d'un autre, ne fait qu'infliger une douleur qui peut rendre la mort encore plus aiguë, le cercle ne se referme jamais. Tuer un homme, c'est le mettre à mort, ça ne sert à rien d'autre.
Je me demande quelles images passent dans la tête de tous ceux qui ont participé à une guerre. Quelles images en gardent-ils ? Le cerveau est-il capable d'effacer tout ce qu"il ne veut pas revoir? Il m'est arrivé de caresser l'idée d'être écrivain, d'inventer des histoires, d'être capable de créer avec des mots des images dans la tête des lecteurs. Mais que se passe -t-il quand on a des images en tête et qu'on veut les effacer ? Que fait-on ? On se jette contre contre un mur, on se frappe la tête des deux mains comme faisait Vlado chaque fois qu'il parlait des visages qu'il ne voulait plus voir ?
Je ne sais pas. Moi, les images qui me font souffrir, j'ai toujours dû les inventer. Oncle Miguelito aussi. Mais ce qui est inventé n'est pas la même chose que ce qui est vu. C'est impossible. L'imagination est changeante. C'est son avantage. La réalité c'est la putain de réalité, on ne peut pas rembobiner.
Le recul temporel me permet maintenant de mieux voir les choses, car tout se succédait rapidement, comme une bourrasque, une information chassait l'autre.
... je comprenne que c'était là le problème des guerres : elles faisaient toujours l'objet de vérités plurielles et aucune n'était suffisante pour les justifier.
Plof ... Fragments de vie quotidienne qui ne deviennent importants que lorsqu'on découvre qu'ils ne sont plus là.
... on est le produit de son histoire et si nous ne la connaissons pas, nous recommençons à naître chaque jour, et chaque jour naît une nouvelle génération qui reproduit les erreurs de la précédentes, c'est comme si nous n'avions rien appris et le pire, comme nous ne le savons pas, c'est que chaque jour qui passe nous sommes à la merci de ceux qui nous racontent la plus jolie fable.
... l'Histoire ne commence pas un jour précis. Ce qui se passe aujourd'hui est la conséquence du jour précédent, et ainsi de suite.
Quand j'ai enfin trouvé du travail à Lisbonne, j'ai cessé d'être un touriste en bermuda pour devenir un de ces types en costume qui déjeunent au coin de leur entreprise, portent mallette et ordinateur et détalent en fin de semaine pour oublier qu'ils n'aiment pas leur travail, mais qu'ils n'ont pas d'autre choix. Alors, j'ai dû reporter au samedi mes visites au café de Joao.
Je sais seulement que c'est resté à ce point gravé dans mon esprit que dans mon enfance j'ai longtemps imaginé qu'il existait des couvre-chefs magiques qui contenaient des histoires et qu'on pouvait les vivre si on se les mettait sur la tête.
Ce n'est pas le muscle qui fait l'homme, disait-il, du moins pas le muscle du bras. Une brève pause avant de conclure: c'est le muscle du cerveau, n'ayez pas l'esprit mal placé.