Ainsi parlait le Grand Grenouille et, déployant largement ses ailes, tandis qu’au-dessous de lui le petit peuple des parfums dansait et faisait joyeusement la fête, il se laissait descendre de son nuage d’or, parcourait le paysage nocturne de son âme et rentrait chez lui, dans son cœur.
Il gisait comme son propre cadavre dans cette crypte rocheuse, c’est à peine s’il respirait, à peine si son cœur battait encore… et il vivait pourtant avec une intensité et dans des débordements comme jamais viveur n’en connut de tels dans le monde extérieur.
Il n’avait pas la moindre intention qui concernât Dieu. Il ne faisait pas pénitence et n’attendait nulle inspiration qui vint d’en haut. C’est uniquement pour son propre plaisir personnel qu’il avait fait retraite, uniquement pour être plus proche de lui-même. Il baignait dans sa propre existence, que rien ne distrayait plus d’elle-même, et il trouvait cela magnifique.
Un parfumeur, c’était une sorte d’alchimiste, il faisait des miracles, voilà ce que voulaient les gens – Eh bien, soit ! Que son art ne fût qu’un artisanat comme tant d’autres, il était le seul à le savoir, et c’était là sa fierté. Il n’entendait pas du tout être un inventeur. Toute invention lui était fort suspecte car elle signifiait toujours qu’on enfreignait une règle.
Ils étaient extraordinairement fiers. Pour la première fois, ils avaient fait quelque chose par amour.
Le paysan qui trouva le corps fut tellement troublé par son affreuse découverte qu'il faillit se rendre suspect : il déclara d'une voix tremblante au lieutenant de police que jamais il n'avait rien vu de si beau... alors qu'en fait, il voulait dire quil n'avait jamais rien vu d'aussi affreux.
Il n'était pas préparé à son bonheur. Sa méfiance se débattit longuement contre l'évidence.
Car comment Dieu pouvait-il châtier Pélissier, sinon en m'accordant ses bienfaits ? Ainsi, la chance dont j'ai profité ne serait que l'instrument de la justice divine, et si c'est le cas, non seulement je pourrais mais je devrais l'accepter, sans honte et sans le moindre remords...
Qu'un respectueux artisan, un commerçant bien établi, ait à se battre pour assurer sa simple existence, on ne voyait ça que depuis quelques dizaines d'années ! Depuis que partout et dans tous les domaines s'était répandue cette manie fébrile d'innover, cet activisme sans retenue, cette rage d'expérimenter, cette folie des grandeurs, dans le négoce, dans les échanges et dans les sciences !
Mais les grandes conquêtes de l'esprit humain ont toutes leurs revers , elles valent toujours à l'humanité non seulement des bienfaits, mais aussi contrariétés et misère ...