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Critique de Butylphenyl


Avertissement : Battle Royale peut générer des troubles momentanés dans votre quotidien (cauchemars, insomnies, nausées). Chez certains lecteurs, cet ouvrage peut également occasionner un dédoublement fonctionnel : assurez-vous donc que vous pouvez lire en vidant votre lave-vaisselle, en vous brossant les dents, en marchant (!) – liste non exhaustive – avant de vous lancer.

Vous l'aurez sans doute compris, Battle Royale exerce une attraction hors du commun.

Il agit sur l'humain comme un aimant dont les pôles seraient différents – oui car je rappelle que les pôles identiques, eux, se repoussent et je ferme cette parenthèse électro-magnétique avant de perdre définitivement votre attention. Il est donc absolument impossible, et ce bien qu'il ne soit pas exempt de défauts, de le lire autrement qu'en le dévorant.

Cette accoutumance résulte selon moi de la combinaison de deux éléments : une intrigue angoissante qui attise fatalement la curiosité morbide du lecteur (puisqu'il ne peut en rester qu'un, qui diable va s'en sortir ?) et une construction narrative plurielle qui alterne, à chaque chapitre ou presque les points de vue – construction qui semble d'ailleurs avoir le vent en poupe ces derniers temps cf. Sorry ou encore Game Of Thrones. Battle Royale repose, en conséquence, sur une structure sadomasochiste qui dépeint des personnages voués à mourir.

L'unique oeuvre de Koushun Takami est donc indissociable d'une extrême violence : physique d'une part car l'auteur y décrit avec un réalisme mi gore mi glacial les différents meurtres, psychologique d'autre part car il y révèle avec une minutie particulièrement déstabilisante les réactions de tout à chacun face à une mort programmée. D'une certaine manière, Koushun Takami reprend la plus célèbre des interrogations littéraire ("To be or not to be, that is the question") mais y insuffle une intensité nouvelle : assassiner ou être assassiné ?

Parce qu'il anéantit toute frontière entre victimes et bourreaux, Battle Royale livre, selon moi, avant tout une réflexion morale. Il oblige en effet à redéfinir complètement nos présupposés éthiques : est-il acceptable de tuer pour survivre (autrement dit, la fin justifie t-elle les moyens ?). Au gré des chapitres, Koushun Takami pose également la question la plus fondamentale en matière de relations humaines : peut-on – et surtout faut-il – avoir confiance ? Cette interrogation est d'autant plus cruciale que l'amour et l'amitié s'évaporent aisément dans un monde alternatif comme celui-ci.

L'auteur rend donc compte, à mon sens, d'une crise humaine généralisée mais pas que. En effet, Battle Royale est également un roman satirique qui analyse de manière acerbe les mécanismes sur lesquels repose une dictature. Il dénonce notamment l'acceptation tacite voire la passivité totale des citoyens qui, disons le clairement, tolèrent qu'un tel programme subsiste et tue leurs enfants. L'absurdité et la cruauté – les armes étant distribuées au hasard, certains doivent combattre avec des armes à feu, d'autres avec une fourchette... – font quant à elles indubitablement écho au nazisme et plus spécifiquement aux camps de concentration.

Cette chasse-à-l'homme se déroule en effet sur une île où cohabitent règle et désordre, un monde où la discipline temporelle, spatiale et hiérarchique coïncide étrangement avec un dérèglement total des valeurs, voire une absence totale de logique. Or il est vrai que si l'on s'attarde ne serait-ce que sur l'organisation de la terreur durant la Seconde Guerre mondiale – le sadisme mêlé à un semblant d'incohérence terrorisait d'autant plus les déportés – il semble que tout ait été régi à la perfection. Cette dualité permanente et propre aux deux univers renvoie donc, indirectement, au caractère ubuesque dont parle David Rousset dans L'Univers concentrationnaire pour qualifier les camps.

Afin sans doute d'édulcorer quelque peu cet univers, Koushun Takami glisse toutefois dans son roman pléthores d'amourettes qui confèrent, toutes, une tonalité "fleur bleue" au récit ce qui peut agacer les lecteurs les moins tolérants. J'ai également noté quelques invraisemblances telles que l'extrême maturité de certains personnages alors qu'ils n'ont que 15 ans ou encore la composition étonnamment diversifiée de la classe (prostituées, sociopathes, athlètes, McGyvers en devenir...). Autre bémol, le traitement assez stéréotypé des personnages (je pense notamment à Mitsuko Soma et Sho Tsukioka mais ne peux malheureusement pas vous en dire plus) et également à la psychologie du héros qui est, ô surprise, le rebelle-sportif-artiste (la totale quoi !).

Difficile toutefois d'en vouloir à un auteur dont le récit est parsemé de Bruce Springsteen ("Cause tramps like us, baby we were born to run").

À mi chemin entre le thriller, la dystopie et le roman gore, Battle Royale est donc un ouvrage singulier, à la fois naïf et cruel, qui parvient à à captiver de bout en bout – on doute jusqu'à la dernière page – et qui propose une réflexion éthique et politique résolument moderne.

Un grand classique.

Plus de détails (mes rubriques "n'hésitez pas si ; fuyez si ; le petit plus ; le conseil (in)utile, en savoir plus sur l'auteur") en cliquant sur le lien ci-dessous.
Lien : http://blopblopblopblopblopb..
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