L'aspect non conventionnel d'un livre, sa bizarrerie, motive souvent mon choix d'en lire un plutôt qu'un autre. le repérage de nouvelles lectures, qui constitue une activité occupant possiblement plus de temps que le temps où je lis le résultat de mon repérage, est donc fortement influencé par la singularité d'une oeuvre. J'accroche particulièrement sur le titre ou le graphisme de la couverture, mais mon regard se posera également sur un récit qui diverge de la norme. C'est le cas du Motel du voyeur, une enquête journalistique (partageant des similitudes avec le genre true crime) sur l'histoire d'un homme ayant épié les clients de son motel sur plusieurs décennies à l'aide d'une fente située au plafond des chambres.
Nonobstant les considérations légales et morales de la chose (d'ailleurs, sommes-nous en tant que lecteur des complices du voyeur, des voyeurs au même titre que lui ?), cette enquête offre une immersion privilégiée (puisqu'à leur insu…) dans la vie privée des Américains au moment de la Révolution sexuelle. C'est non seulement des changements dans les pratiques sexuelles de ses clients que Gerald Foos observe, mais aussi des changements démographiques et sociaux, les conséquences de la Guerre du Viêt Nam et la misère humaine (une misère autant sur un plan sexuel et affectif que sur un plan plus général). C'est notre « moi », dans sa forme la plus authentique, ce moi que nous ne voulons pas que les autres sachent qui est ainsi dévoilé une première fois au voyeur pour son plaisir personnel et une seconde à tous lors de la publication initiale de ce livre sous la forme d'articles par l'auteur
Gay Talese dans le New Yorker. Cette « expérience », celle de Foos le voyeur, atteindra son paroxysme avec l'observation d'un événement précis que la quatrième de couverture divulgâche.
Concernant les mérites littéraires du livre : avec ces courts « articles », le style est rapide et rythmé. S'enchaînent ainsi la narration de
Gay Talese et les observations de Gerald Foos provenant de son journal où cependant nous en arrivons rapidement à une certaine monotonie à partir du milieu du livre. Aussi, si
Gay Talese considérait que les erreurs factuelles présentes dans le récit (qu'il découvrit une fois la publication) portaient un tort trop important à son ouvrage pour qu'elle conserve son caractère journalistique, je considère inversement que ses imprécisions sont inhérentes au récit, qu'elles participent au flou entre fantasme et réalité, et ce, autant pour les observations proprement dites que pour la façon pour laquelle le voyeur se perçoit lui-même. Mentionnons qu'en amont de son désir de notoriété, Gerald Foos qualifiait sa démarche de scientifique et innovante, à l'instar des études d'Alfred Kinsey et de Masters et Johnson.