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Critique de Osmanthe


Le malicieux maître Tanizaki frappe encore joliment avec ces quelques textes bien plaisants.

Dans « les jeunes garçons », deux amis adolescents, Ei-chan, narrateur, et Senkichi, vont jouer chez Shin.ichi et sa soeur Mitsuko, qui peut-être est la joueuse de cette musique de piano qu'on entend depuis le jardin… Dans leurs jeux à quatre, ils ne se font pas de cadeaux, torsions et écrasements des corps, enserrement, ligotage, crachats, tout y passe…Au début, cela a l'air anodin, tous les enfants en sont passés par là. Pourtant, peu à peu, Tanizaki, mine de rien, appose sa patte pour nous faire douter…Sont-ce vraiment des jeux innocents, ces gestes et mises en situation, ces jeux de rôles qui s'installent ? Un certain malaise gagne le lecteur, l'ambiance se teinte d'une coloration sado-masochiste, violente, et cette proximité des corps semble aussi perturber subtilement l'esprit de ces jeunes, comme si un désir d'ordre sexuel s'insinuait…On reste sur le fil, dans une ambiance devenue quelque peu inquiétante, qui va nous emmener à la frontière du fantastique, où la jeune fille en apparence si fragile pourrait bien être la dominante en majesté diabolique.

Dans « le secret », le narrateur, nous dit qu'il a depuis son enfance le goût du secret, de l'occulte, des choses cachées, avec un goût du jeu, de la devinette, du colin-maillard…Alors il se prend du plaisir de se travestir, et va se farder et porter un kimono de femme. Se rendant ainsi au cinéma, il reconnaît à côté de lui une ancienne maîtresse, accompagnée d'une nouvelle conquête. Il est à nouveau sous le charme…et contre toute attente, elle l'a reconnu. Ils vont se revoir, chez elle, mais à la condition d'un autre secret : qu'il se fasse transporter les yeux bandés, pour qu'il n'identifie pas son adresse exacte…

« Terreur » n'est pas une palpitante nouvelle fantastique, mais le court récit du narrateur, T***, qui dit avoir le mal du chemin de fer. Or il doit absolument faire un petit voyage, sur une petite ligne au départ de Kyôto. Alors pour se donner du courage, il s'alcoolise…A moins qu'alimenté par d'autres névroses comme la hantise de la mort, son problème originel ne soit justement l'alcoolisme ? L'occasion pour Tanizaki de nous mener non seulement en train, mais aussi comme souvent en barque, non sans s'amuser un peu, et, peut-être, de rendre hommage au pouvoir apaisant du train, ce mode de transport si cher au coeur des japonais.

Dans « La haine », le narrateur nous confie adorer haïr l'autre, y compris ses amis, et se remémore la première fois qu'il a ressenti ce sentiment, étant enfant. Il avait un copain Yasutarô, un vrai petit con, querelleur et moqueur. Mais un jour Yasutarô se fait rosser par un grand en présence du narrateur, qui est frappé par une image du gamin à terre : ses narines, béantes, qu'il trouve horriblement moches. A partir de ce jour, il va se mettre à haïr Yasutarô, au point qu'à l'évocation de ces narines et de ce corps, des pensées scatologiques lui viennent, il avoue en saliver, en malaxer avec hargne sa pâte à modeler…

Dans "Une mort dorée", notre narrateur, étudiant brillant et fin lettré voit son ami Okamura, issu d'une famille riche, se passionner plutôt pour la gymnastique. Il ressent à le voir une admiration mêlée d'attirance pour cette beauté masculine. Mais surtout, leur approche de l'art, grand sujet de débat, est différente. Okamura va avoir la folie des grandeurs et se faire construire un palais où il va bientôt recréer les grands sujets, notamment de sculpture, du monde gréco-romain et occidental. Mais il brûle très vite son argent, et sa vie, recourant à des figurants vivants pour reconstituer ce paysage artistique, jusqu'à lui-même se fondre en oeuvre d'art, et succomber asphyxié par la feuille d'or intégrale qui bouchera les pores de sa peau. Ce texte instille une double réflexion sur le vice de l'argent-roi, et le bonheur ou le malheur qu'il apporte, mais aussi sur la nature de l'art.

Ces histoires sont toutes bâties sur une anecdote apparemment assez anodine, prétexte pour le narrateur à nous livrer un aspect de sa personnalité. Et évidemment, comme toujours avec Tanizaki, le jeu, l'ambiguïté sexuelle et la perversion psychologique sont à l'honneur. Dans une langue remarquable, Tanizaki nous livre en quelques pages des textes de bonne portée intellectuelle, qui apportent réflexion et détente au lecteur. Un bon recueil, dominé par les deux premiers textes, « le secret » et « Les jeunes garçons », sans doute plus consistants, et "Une mort dorée" qui paraît d'une grande modernité dans son traitement de l'art, et notamment de l'art vivant et performatif, comme on dit aujourd'hui.
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