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Critique de Sachka


Le Tatouage...

"Fondue dans l'encre de Chine, l'âme du jeune tatoueur entrait dans les tissus. Chaque goutte instillée de cinabre des Ryûkyû dilué dans l'alcool de riz était comme une goutte de sa propre vie. Il y voyait la couleur même des émois de son âme."

Un tatouage comme un souvenir, une image, un sentiment profond figé dans la peau pour l'éternité. Un tatouage comme un fantasme, une obsession lancinante, celle de Seikichi, jeune maître tatoueur qui excelle à son art dans un Tokyo révolu de l'époque du vieil Édo dans lequel les aiguilles du temps avancent au rythme de ses aiguilles qui transperçent inlassablement les chairs meurtries, à vif, dans sa quête éperdue de pouvoir un jour trouver la femme, l'unique, à la beauté parfaite, à la peau blanche comme la neige, au grain pareil à de la soie, une femme aussi fascinante que terrifiante qui dans les yeux de Seikichi est à l'image d'une toile de maître représentant La Fumure. La Fumure qui pourrait bien se cacher derrière les traits d'une douce et troublante apprentie maiko.

Les Jeunes Garçons...

"L'élégance hautaine de Shin .ichi, ses méchancetés à la fois imprévues et impitoyables avaient réussi en quelques heures à captiver mon coeur tout entier."

N'est-il pas vrai que les actes des enfants se nourrissent de ceux
des adultes ? Ils ne font que reproduire inconsciemment ce qui leur est donné d'entrevoir.
Ei-chan le narrateur de cette nouvelle se remémore l'année de ses 9 ans alors qu'il était élève en quatrième année d'école primaire à Arima et plus particulièrement de l'un de ses camarades : Shin .ichi, fils d'une famille fortunée établie dans l'arrondissement de Nagano, petit garçon timide et introverti constamment chaperonné par une servante même durant la classe, faisant régulièrement l'objet de nombreuses railleries de la part de ses petits camarades. Shin .ichi au visage d'ange qui se mue en véritable petit tortionnaire durant leurs nombreux jeux dans la somptueuse résidence de type occidentale que possède sa famille et qui lui inflige des sévices dignes des rapports de maître à esclave. Des jeux innocents qui peu à peu dévient vers des jeux d'une rare perversité, à la limite du sadomasochisme, à tel point que notre petit Ei-chan se retrouve bien malgré lui en proie à une fascination étrange pour son ami, éprouvant même un plaisir malsain à se soumettre à ses caprices les plus vils.

Le Secret...

"Un soir, à peine ai-je aperçu un kimono de femme à fond indigo tacheté de petites lunes blanches plus ou moins larges, que je fus pris du désir irrépressible de m'en revêtir."

Dans un Japon contemporain du début du vingtième siècle, les déambulations et les rêveries nocturnes d'un homme, érudit, lettré, qui pourrait bien être Tanizaki lui-même, qui, en mal d'inspiration et certainement pour pimenter un peu une vie ennuyeuse, décide de s'installer dans une petite chambre du quartier d'Asakusa et se prend soudainement de passion pour l'art du travestisme. Ainsi, chaque soir, quand vient la nuit chargée de ses effluves mystérieuses et envoûtantes, il revêt les apparats de la geisha, se farde méticuleusement le visage et s'enveloppe dans un somptueux kimono de crêpe déniché chez un fripier et, légèrement ivre de whisky, il déambule telle la courtisane dans les quartiers du vieux Tokyo, perdant peu à peu la notion du temps et ses manières d'homme.

Trois nouvelles remarquables : "Le Tatouage", "Les Jeunes Garçons" et "Le Secret". Toutes trois publiées respectivement dans les revues Shinshichô, Subaru et Chuô Kôrôn entre 1910 et 1911. La première nouvelle "Le Tatouage", a été adaptée sur grand écran par Yasuzô Masumura en 1966, j'espère avoir le plaisir de visionner le film un jour prochain car c'est la nouvelle que j'ai pour ma part préférée.
Je n'ai pas cherché à savoir et je ne le saurais certainement jamais, si Junichirô Tanizaki, au travers de ces trois récits, a laissé libre cours à ses fantasmes les plus inavouables, parfois il est préférable de ne pas trop fouiller dans les méandres de l'âme humaine surtout lorsque celle-ci est torturée, à l'image de la deuxième nouvelle (Les Jeunes Garçons) dont le récit pourrait mettre mal à l'aise les plus sensibles d'entre-nous tant il pointe du doigt les pires déviances de l'homme engendrées par la rigidité extrême du système féodal propre à l'ère Meiji et cela au travers de la naïveté infantile.

Je me suis laissée simplement porter par l'univers poétique, feutré, teinté d'érotisme de l'auteur et par sa plume délicate qui parvient à magnifier le corps, la peau et à nous restituer les sensations aussi fugaces soient-elles, les moments éphémères où le temps apparaît comme suspendu, pareil à un rêve. Si ce n'est pas ça l'essence de l'être, nous n'en sommes pas loin tant Tanizaki touche à la perfection dans la première nouvelle.




* Je remercie Blackbooks pour la découverte de ce recueil et je vous invite à lire sa belle critique.
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