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Critique de LeScribouillard


Mais où sont les neiges d'antan ? le temps où l'on s'émerveillait devant les livres de notre jeunesse, qui ne cherchaient pas tant à dépeindre une ambiance qu'un récit, un univers qu'une histoire en particulier, laquelle était soignée malgré tout ? Où sont les livres comme Les chroniques de Narnia et L'Histoire sans Fin, ou si on veut faire un peu moins dans le gamin, La Terre mourante et le Seigneur des Anneaux ? Où l'important n'était pas le voyage, mais la destination (attendez, je crois que c'est l'inverse) ?
Les neiges d'antan, je sais pas où elles se sont barrées. Par contre, j'ai un canon de piste de ski et un livre qui m'a l'air de renouer avec cet idéal. Sauf que j'ai rapidement déchanté : sous couvert d'un orientalisme onirique à la couverture mystérieuse laissant présager un magicbuilding inspiré des rêves ou de l'Égypte ancienne, on se retrouve avec un roman Young Adult lent, tristounet, et pour tout dire plan-plan.

Intrigue, rythme, personnages

Donc, le Faiseur de Rêves c'est l'histoire d'un monde comme le notre sauf que chaque personne a deux coeurs, le deuxième servant à faire circuler une mystérieuse substance appelée « esprit », dont on ne connaît pas exactement l'utilité, et qu'il y a une ville aux confins de l'Orient dont le nom sans explication non plus s'est fait effacer du jour au lendemain des mémoires collectives (comme quoi, on se retrouve avec des black-outs même quand on laisse les réplicants tranquilles, mais comment allons-nous pouvoir conserver nos stories Snapchat ?). Lazlo est un orphelin embauché à la cour du duc Thyon Nero au glorieux titre de larbin professionnel ; Thyon Nero, c'est le plus beau, le plus fort, et non seulement c'est le duc mais en plus il est alchimiste surdoué. le plomb en or, c'est pour bientôt sur vos téléviseurs, sauf qu'il manque à Nero un ingrédient qu'il n'arrive pas à définir… Un ingrédient que pourrait bien avoir Lazlo.
De fil en aiguille, notre joyeuse troupe va ainsi se retrouver en quête de la cité perdue. Sauf que entretemps, il a fallu que Lazlo découvre peu à peu la clé du mystère et s'affirme un peu. Et vous savez que j'aime pas trop les histoires qui passent des dizaines voire des centaines de pages sur un personnage souffre-douleur qui évolue TRÈS lentement (L'Arcane des Épées, par exemple). C'est bien simple : la littérature étant faite ou bien pour l'évasion ou bien pour voir nos problèmes sous un autre angle, il est inutile de ressasser éternellement les malheurs qui s'abattent sur un individu si cela n'apporte rien à la construction scénaristique (mais vous avez quand même le droit si c'est drôle). Et en l'occurrence, je crois que maintenant que je vieillis et que mes aisselles ont atteint le zénith de leur toison virile, j'ai davantage besoin de romans qui savent faire court que de s'étirer à déplier lentement la personnalité d'un héros, d'autant plus si l'élément déclencheur n'est même pas encore arrivé. Et une fois qu'il arrive, pan ! On nous met un nouveau personnage dans un nouveau milieu et c'est rebelote pour 50 pages !
Ce personnage, c'est Sarai, une des dernières survivantes du peuple de dieux qui tyrannisait la cité avant que son nom ne sombre dans l'oubli ; elle et les quelques autres rescapés du massacre qui a éclaté quand les humains se sont révoltés vivent enfermés dans leur île volante, psychotant en boucle par peur qu'on revienne les tuer. La jeune Minya n'a pas d'ailleurs pas la rancune dans sa poche, et par les dons surnaturels de ses ancêtres, elle va créer une armée de fantômes prête à s'abattre sur les mortels. Mais Sarai possède une magie toute aussi puissante, car elle parvient à contrôler les rêves…
Disons-le, à partir de là, les défauts vont s'empirant dans le character-building :
- Thyon Nero est le fils du duc, un enfant gâté possédant tous les dons sauf l'humilité. Contraint de se coltiner Lazlo, il veut que tout le monde sache que c'est lui LE révolutionnaire de l'alchimie (bizarrement, il met ses petites mains de nobles dans le cambouis plutôt que de le demander à des serviteurs, mais bon, passe encore pour du Young Adult). Antipathique, incapable de se remettre en question, c'est un personnage purement monodimensionnel n'évoluant jamais. Au contraire, chaque fois qu'il en a une occasion, il se comporte un peu plus comme un abruti ; c'est pour bien montrer que c'est un MÉCHAAANT.
- Minya est la formatrice de l'armée de fantômes. Dévorée par son désir de vengeance, elle accouche de scènes intéressantes (on va y revenir), mais reste toute aussi infecte que Nero. Pas le moindre signe d'humanité si ce n'est pour avoir par moments le comportement d'une gamine de cinq ans ; un personnage dont la faiblesse cachée aurait pu se révéler autrement que par la rancoeur ou la puérilité, ne serait-ce qu'en mettant dans son caractère un peu de charisme ou au contraire quelques scènes s'immisçant un peu plus dans son intimité. Mais non, à la place, on a une gamine qui fait sa loi et à qui tout le monde se soumet aveuglément à ses caprices, c'est pour bien montrer que c'est une MÉCHAAANTE.
- Lazlo et Sarai sont Roméo et Juliette ; dès qu'ils sont quelque part, on sort les violons pour décrire leur moindre ressentiment. Incapables de concevoir le moindre mal, ils se font en permanence tabasser par les aléas de la vie ; seulement même les personnages au coeur pur, quand ils sont bien écrits (Tintin, Tagiri dans La rédemption de Christophe Colomb), ont un minimum de combattivité dès lors qu'il s'agit de lutter contre des criminels en puissance capables de détruire leur vie et/ou celle de milliers de gens.
- Les autres personnages sont tous anecdotiques en-dehors d'un ou deux comme Eril-Fane, définis eux aussi par un seul trait de caractère tout au plus, ou une intrigue secondaire ne servant à rien.
Tout est très lent à se mettre en place. Thyon Nero est une tête à claques, les personnages adoptent par moment un comportement de cartoon (dans un roman adulte tu tues une demi-dizaine de gardes quand tu cambrioles un tombeau puis il te tombe dessus le gang d'en face, dans ce genre de romans, il te suffit de jongler avec des émeraudes une fois arrivé) ; tous les personnages gentils ont l'air d'emos du forum Jeux-Vidéo 15-25 ans, voire 12-14 par instants, à s'apitoyer presque autant que moi en regardant mes anciennes vidéos. On avait dit qu'on tenterait à l'avenir d'être davantage bienveillants envers les bouquins, je vais donc arrêter de tergiverser : ils semblent tous désespérés et pourtant naïfs, et leur absence de décisions ne fait qu'appesantir un récit bien longuet. Longueur qui se compense malgré tout (en partie) par le style.

Style, dramaturgie

En effet, la plume a ça de particulier qu'il emploie un langage riche et varié, évocateur aussi bien de mythes sanglants que de contes pour enfants, qui aurait pu donner une version light de Clarke Ashton Smith. Autant de définitions énigmatiques, de badinages philosophiques, d'émotions retranscrites et de visions oniriques étranges, qui viennent pimenter le récit et lui conférer toute sa saveur.
Le problème étant que l'auteure n'arrive pas à le doser et que la traduction n'arrange sûrement pas les choses. Tout est prétexte à tartiner la poésie, qu'il s'agisse du titre d'un chapitre, d'une réflexion, d'une description, d'un dialogue incongru (ce dernier cas arrivant très souvent). Quelquefois la poésie veut se faire omniprésente, quitte à devenir incongrue, les interaction perdent en naturel, et on tombe de temps à autre dans une avalanche de pathos propre aux personnages. Et forcément, au bout d'un moment, à force de langage soutenu, on en fait trop : « dextre » au lieu de « droite », « azuré » au lieu d'« azur » ou tout simplement « bleu », sûrement un choix du traducteur pour signifier une érudition qu'il n'a visiblement pas (« bourreau » se dit « bourrelle » au féminin), quand il décidera plus loin de garder certains noms en franglais comme « Windfall ». À partir de l'apparition de Sarai, on sombre peu à peu dans une romantic fantasy usant et surabusant de figures de style, et le dépaysement envoûtant fait peu à peu place à la pénibilité d'une lecture au sentimentalisme bien trop omniprésent. Un peu de sensualité essaye de se mêler au récit pour lui donner du piquant, mais tranche d'âge oblige, ça ne va pas bien loin : on nous vend une scène torride qui finit face à une tasse de thé, Lazlo découvre ses hormones à 20 ans, et il fait une fixette sur… les cous !
(D'ailleurs, petite anecdote, pendant que je lisais le livre, j'ai commencé en parallèle Traits pour traits de Stéphanie Ledoux sur les cultures ancestrales. Il est question dans la cité de Désolation de cérémonies joviales où l'on tatoue les femmes pubères « pour célébrer le miracle d'être en vie, et plus encore le miracle d'être une femme » (même si en bon connard de mâle hétéro-cisgenre, je vois mal en quoi c'est un miracle de devoir marcher en talons et de recevoir des salaires de merde) ; or les tatouages « à l'ancienne », loin de l'aiguille stérilisée et fine, sont extrêmement douloureux et peuvent prendre plusieurs jours !)
En fait, je constate trois gros problèmes :
1°) Ce livre est celui que je lis qui assume le moins son érotisme depuis Résonances ; je peux comprendre que le lectorat soit attiré par, ahem… les choses de la vie, tout comme le fait qu'il s'adresse à un public plutôt jeune et donc que les descriptions se fassent très légères et jouant sur l'implicite ; c'est même plutôt une qualité de ne pas avoir à recourir à un vocabulaire plus cru pour immerger le lecteur (cf. les délires pornos de Jean M. Auel et Alain Damasio). Non, le problème vient du fait que l'on en reste une fois sur deux aux préliminaires et qu'il se passe toujours un évènement interrompant juste avant les Pink Floyd (sachez que vous serez adoubés par ma soeur si vous avez compris la réf) : du coup, ce livre ne satisfera ni les amateurs de littérature comme moi agacés par le recours systématique des oeuvres aux scènes de sexe pour garder leurs lecteurs, ni ceux qui rechercheraient une romance érotique soft. La démarche d'approche du livre se contredit dans les deux cas, et vous vous retrouvez avec des histoires de Sainte-Nitouche-découvre-son-corps-mais-pas-trop-non-plus gratuites et aussi frustrantes que là-dedans.
2°) L'auteure semble devoir se prouver en permanence qu'elle écrit bien. Et pour cela, elle prend son style qui est très bien à la base, pour en rajouter des couches et des couches et chercher la figure de style absolument introuvable ailleurs. Les titres de chapitres sont envoûtants et inquiétants tels que « La soupe du purgatoire » ou « La colère d'une prune ». Après dix pages à s'imaginer que Thyon arrache les pages une par une du seul exemplaire de tout ce que Lazlo a écrit de sa vie, on découvre qu'il « ne les avait ni brûlés, ni lancés de la terrasse de son palais tels des oiseaux sans ailes ». Ici se déploie une gastronomie pour fines bouches : « Mésange ne savait pas si elle plaisantait, ou ne voyait réellement aucune différence entre lécher des cuillères et des garçons ». Ailleurs, on nous questionne sur la véritable nature de Sarai par un chiasme subtil : « Dieu ou monstre, monstre ou dieu ». On est sur du niveau rentrée littéraire.
3°) Tous les points forts du livres s'avèrent aussi des points faibles pour des lecteurs n'ayant pas les bonnes attentes ou d'une trempe particulièrement aguerrie : par exemple ce goût certain pour le sense of wonder : squelette géant, femme qui crache des papillons… Mais pour ce qui est du magicbuilding qu'on attendait, au final on nous apprend juste que la magie existe grâce à des pouvoirs divins, autrement dit : RIEN !
De même cette idée qui avait du potentiel : Minya, la méchante, est bloquée à l'âge de cinq ans. Bon, me diriez-vous, c'est pas la première fois qu'on voit ça, on le trouve même dans Eragon qui s'est tapé la réputation de saga clichée par excellence. Mais par-delà cette ambiguïté de la vallée de l'étrange, on découvre un enfant tourmenté au point de vue particulièrement soigné (qu'on laisse exprimer ridiculement peu par rapport aux autres) : un être amer, qui n'a pas eu le temps de grandir et se voit ainsi incapable de nuance et de discernement, exploitant les autres par leurs faiblesses et pourtant prétendant vouloir leur bien commun. C'est ce genre de psychologie complexe que j'aurais aimé voir davantage, mais même là, elle nous rebat les oreilles pendant 200 pages de ses sarcasmes et de sa haine dans les dialogues, si bien qu'on a juste envie de l'envoyer au coin avec une bonne claque sur les fesses. Si Layni Taylor sait faire preuve de finesse, d'intelligence et même d'humour, en revanche elle étire trop son propos pour qu'il puisse apprendre la grimace au vieux singe que je suis.
Ou encore le refus de l'ellipse : c'est très bien de laisser un cliffhanger ou plus généralement une fin ouverte régulièrement en fin de chapitre, mais il y a des moyens plus subtils de poursuivre l'intrigue au chapitre suivant que simplement reprendre directement où l'on s'en était arrêtés. Vous vous rappelez des épisodes de Scooby-Doo quand vous étiez enfants ? Quoi de plus pénible que de retomber tout le temps sur ce sempiternel fondu au noir pour enchaîner par la suite d'exactement le même plan ? Non, quand un moment est iconique, il faut qu'il reste gravé dans la rétine / le cerveau ; autrement dit, il faut une rupture au moment le plus intense, celui après lequel il n'y a plus rien à dire : en terminant le film ou en passant à une autre scène. Sinon, le spectateur n'est pas impacté.
Et tout ça me fait d'autant plus de peine… que ce livre, j'ai pas envie de le défoncer.
Parce que oui, c'est maladroit mais teinté de poésie, plein de bonnes intentions et on ne peut pas s'empêcher d'y voir un grand potentiel de finesse et d'intelligence : l'auteure fait mention entre autres d'un dieu pédophile effaçant les mémoires de ses victimes après coup. Chez n'importe quel autre écrivain, ç'aurait paru sordide, impossible à mettre dans un roman pour ados plutôt jeunes ou même pouvant s'adresser à toute âme sensible. Mais l'autrice parvient à ne pas aborder brutalement le problème, d'abord jouant sur l'implicite, puis dévoilant peu à peu le crime sans s'y complaire ni rentrer dans les détails, jusqu'à ce qu'il n'y ait plus aucun doute pour pouvoir le dire franchement.

Conclusion

Source de frustration et passablement sur-coté, le faiseur de rêves fera sans doute partie de mes déceptions de l'année. Ce n'est pas un mauvais roman, et il y a cinq ans je l'aurais trouvé palpitant et éreintant ; on se retrouve au final avec une lecture agréable pour les jeunes, mais difficile l'adolescence passée de ne pas se sentir agacé par ses multiples imperfections. le mieux aurait sans doute été d'opter pour le format novella, ou compresser ce livre et sa suite en un seul. Vous pouvez l'acheter à l'occasion, ça fera toujours un plus pour votre culture…
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