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Critique de afleurdemots


"La vieillesse est un naufrage" écrivit Chateaubriand. On ne saurait trouver des mots qui traduisent d'une façon plus juste ce que l'on ressent à la lecture des premiers chapitres du roman de Elizabeth Taylor. Publié peu avant sa mort, « Mrs Palfrey Hôtel Claremont » explore en effet le thème de la vieillesse et du temps qui passe, posant un regard franc et sans concession sur cette période de la vie qui nous guette autant qu'elle nous effraie.
Début des années 70, Mrs. Palfrey, une veuve respectable, pose ses valises à l'hôtel à Claremont, une résidence pour personnes âgées. Entre les murs de cet hôtel figé dans le temps et le silence, les pensionnaires mènent une existence réglée comme du papier à musique. Les jours se succèdent, chacun identique au précédent, au rythme des activités répétitives et minutieusement planifiés. Pourtant, ne vous y trompez-pas. Car dans cette ambiance faussement feutré, la course aux apparences fait rage, et la poignée de retraités se livrent en catimini une compétition sans merci. Au sein de ce petit monde cloisonné (qui n'est pas sans rappeler l'univers hiérarchisé et parfois impitoyable de l'école), on s'observe et se jauge à longueur de journée. Ici, la popularité des individus se mesure au nombre de visites qu'ils reçoivent et tous les moyens sont bons pour sauver coûte que coûte les apparences. Tandis que Mrs Palfrey, délaissée par sa fille et son petit-fils, prend chaque jour davantage conscience de l'abîme de solitude dans lequel elle se trouve, le destin va mettre sur sa route un jeune écrivain, dénommé Ludovic Myers. Suite à une chute, il vole héroïquement au secours de la vieille dame en détresse. Mais c'est sur la base d'une espèce d'échange de bons procédés que s'établit réellement la relation qui va définitivement lier leurs destins. Dans cet arrangement implicite, chacun voit en effet dans l'autre un moyen de servir ses propres intérêts : lui est à la recherche d'un sujet d'étude pour son roman, elle a besoin d'un fils de substitution lui permettant de sauver les apparences. Ensemble, ils mettent sur pieds une véritable mise en scène afin d'éviter à la vieille dame d'essuyer ce qui s'apparenterait pour elle à une humiliation publique. Faisant passer le jeune homme pour son petit-fils, Mrs Palfrey tente ainsi de dissimuler aux yeux du monde l'étendue de sa solitude, et s'enfonce peu à peu dans ses mensonges.
Ce choc des générations entre une vieille femme drapée dans sa dignité et un jeune homme désargenté et insouciant, se mue pourtant peu à peu en la rencontre émouvante de deux solitudes. Subtilement et avec une grande habileté, Elizabeth Taylor démontre ainsi que la solitude ne revêt pas toujours le visage que l'on croit et se cache souvent là où on ne l'attend pas.
Avec un sens aiguisé de l'observation et une remarquable finesse psychologique, la romancière britannique dissèque les sentiments et sonde l'âme de ses personnages, tout en posant un regard d'une implacable lucidité sur la nature humaine. A travers les destins croisés de ces antihéros, elle explore et met ainsi à l'épreuve la sincérité des sentiments qui guident nos actes, et nous démontre en définitive que les liens du sang ne sont pas toujours les plus forts.
Elizabeth Taylor décrit également avec brio notre besoin de repères, notre attachement viscéral aux petits gestes qui régissent notre quotidien, le réconfort des habitudes, ces rituels qui nous rassurent… et nous rappelle que ce sont finalement le temps et les épreuves qui forgent nos vies et nos caractères. Comme pour mieux illustrer le changement d'état d'esprit qui s'opère chez ses personnages, la romancière rattache ainsi leur prise de conscience et leur lente évolution au mouvement des saisons. Et tandis que la grisaille hivernale cède peu à peu la place à l'air revigorant d'un printemps symbole de renouveau, elle nous rappelle que la vie n'est finalement qu'un éternel recommencement. Forte de toutes ces rencontres et d'une nouvelle vie à laquelle elle prend finalement goût, le Clarement et ses résidents s'imposent progressivement comme un nouveau foyer pour Mrs Palfrey. Bientôt, une nouvelle pensionnaire débarque à l'hôtel, renvoyant la vieille dame au souvenir de sa propre arrivée quelques mois auparavant. Et l'histoire peut ainsi se répéter…
Dans ce roman qui joue sans cesse avec nos émotions, Elizabeth Taylor ne nous épargne aucun détail des affres de la vieillesse. Sans prendre de gants, elle évoque la lente décrépitude du corps et de l'esprit, la progressive perte d'autonomie et le spectre de la dépendance qui menace. Poussant le lecteur jusque dans ses derniers retranchements, elle le confronte, à travers le prisme de ses personnages, à ses angoisses les plus intimes et les plus refoulées. Une des principales forces de ce récit repose ainsi sur ce don rare et précieux qu'a Elizabeth Taylor de trouver à chaque instant les mots justes pour capter une émotion, un sentiment, un silence afin de lui donner une résonance particulière et une portée universelle.
Si notre coeur se serre à de nombreuses reprises, ce n'est pourtant jamais sous l'impulsion de la pitié. D'un réalisme parfois cruel et dérangeant, ce portrait sans fard de la vieillesse ne sombre en effet jamais dans un pathétisme déplacé ou le misérabilisme. Car ce qui fait toute la singularité de cette oeuvre, c'est justement la capacité de son auteure à surmonter le caractère par essence tragique et immuable du temps qui passe afin d'en adoucir l'âpreté. Elizabeth Taylor est ainsi parvenue à extraire de cette description peu réjouissante de véritables moments de grâce, nourrissant son récit de ces petits bonheurs qui égaient le quotidien et de ces rencontres magiques qui donnent à l'existence tout son sel.
De cette course désespérée contre le temps, le lecteur en connaît dès le départ l'inévitable issue. Si la conclusion se révèle donc sans surprise, la romancière parvient néanmoins à en adoucir la saveur. A partir de l'histoire, a priori convenue, d'une femme qui, se trouvant au crépuscule de sa vie, tente de trouver un sens ultime à son existence, Elizabeth Taylor en a ainsi tiré une fable à la portée universelle et une oeuvre magistrale, véhiculant un formidable message d'espoir.

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Subtil mélange de réalisme, d'humour grinçant et de tendresse, Elizabeth Taylor signe avec « Mrs Palfrey, hôtel Claremont », un roman époustouflant qui nous fait passer du rire aux larmes en un instant et réveille les peurs et les angoisses tapies au fond de chacun de nous.
De cette description peu réjouissante du temps qui passe et nous use, Elizabeth Taylor parvient néanmoins à extraire de véritables moments de grâce, nourrissant son récit de ces petits bonheurs qui égaient le quotidien et de ces rencontres magiques qui donnent à l'existence tout son sel. Au fil des pages, on s'entiche de cette petite clique de retraités dont on suit les tribulations quotidiennes avec une infinie tendresse tout en étant subjugué par le réalisme parfois cruel de ce portrait de la vieillesse et du temps qui passe.
Porté par une narration à hauteur humaine, il y a, au coeur du roman d'Elizabeth Taylor, des thématiques universelles qui trouvent un écho en chacun d'entre nous: l'inexorable et angoissante fuite du temps, la peur de la vieillesse et de la solitude, les rencontres décisives qui changent nos vies, notre besoin viscéral d'être aimé et de donner un sens à notre existence… de cette fatalité que nous inspire la vieillesse, Elizabeth Taylor a su ainsi tirer une fable à la portée universelle et une oeuvre véhiculant un formidable message d'espoir.

Lien : https://lectriceafleurdemots..
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