Le pied du lit
Une chèvre trébuche au pied du lit.
Tous les moutons avaient déjà été comptés.
Un soulier trouve son pied, l’autre emprunté par un bélier.
L’autre soulier, pas le pied.
Que vous bêliez serait un luxe, dit le berger à ses moutons
déjà comptés.
Le sommeil ainsi travaillait à dessiner l’astre intérieur
qui habitait la tête du rêveur :
Chèvre, moutons bêlants, bélier.
Et un soulier autour d’un pied.
À ajouter au premier.
Pied.
Celui du lit.
p.45
"Pensez à un nom
Laissez un nom commun vous venir à l’esprit. Écrivez-le.
Qu’il vous plaise ou non. Qu’il vous trahisse ou non. Écrivez-le.
Il est presque certain qu’un adjectif vous passera alors par la tête – pour qualifier ce nom arrivé par hasard. Cet adjectif-là, écrivez-le aussi. À la suite du nom. Ne le refusez pas. Cette place lui revient. Il fait fi de toute cohérence, de toute grâce ? Il est grotesque, banal ? Qu’importe ! Écrivez-le."
« Mes paumes poussent le ciel
Qu’en tombe un oiseau bleu
Dans une boîte vocale
J’ai fait mes armes
En suivant les éphémérides
Suivant le vent
J’ai fait mon lit
De l’érosion
Un oisillon
A mon réveil
Est là
Dans ma main droite
Mes paumes poussent le ciel
Qu’aille l’oisillon bleu » .
Nous ne parlions pas la même langue. La langue des yeux, toutefois, disait des choses très claires que je ne veux pas vous répéter.
Une chanson
Ça ne fera pas une chanson
Mais un collier pour ma femme
Et des pierres chaudes sur ses paupières
Quand elle dort
Ça ne fera pas un poème
Mais un papier caché dans sa poche
Quand elle ira au travail
Avec écrit dessus : je t'aime
Ça ne fera pas une chanson
Mais la joie de ses voûtes plantaires
Quand elle rentrera à la maison.
Va vers nulle part
L'horizon n'est pas loin
Va vers nulle part part
Tu connais le chemin
Ressac
J’ai plusieurs choses qui me traversent.
Dont toi par instant.
Tu es un million de pensées
qui sont comme des petits couteaux.
La poésie se portera mieux quand on cessera de l’assigner aux pages des livres – et je l’écris dans un livre. Elle est partout. Elle peut être partout. « Le monde est rempli de visions qui attendent des yeux. Les présences sont là, mais ce qui manque ce sont nos yeux. » C’est Christian Bobin qui le dit. La poésie est une attention, une délicate attention.
Le poète est cuit. Dans un gros pot de terre, il signe sa fin. Empreinte légère, au revoir, adieu. Dans la glaise sculptée. il murmure un peu. Hanté par les parfums profonds, son souvenir s'épuise avant d'arriver à la main qui signe. Au carrefour, il se fait au revoir de la main. C'est lui-même qu'il laisse. Ne m'en veux pas, dit-il au poète qui était là, en lui, et qu'il laisse sur le bord de la route. Ne m'en veux pas, mais c'est trop fatigant tes yeux à l'intérieur de mes yeux, ton avidité, tes alertes, ta détresse momentanée et permanente, tu m'épuises aussi, tu me tords. Je voudrais soulager ta peine, quand tu regardes à l'intérieur de moi, depuis mon intérieur. Je voudrais poser ma main sur ton front que tu t'endormes tranquillement au moins un jour, une nuit, mais tu as peur, toujours peur. De ne pas être à la hauteur. À la hauteur de l'homme, qui veut toujours se hisser au-dessus de lui-même. Je suis fatigué de ton désir, poète. Alors je te laisse là. Une empreinte, dans le pot de terre.
Sous le préau des après-midis pluvieuses on entend les enfants jouer aux Pokémons. On regarde ce monde étranger où nous avons vécu il y a très longtemps. Nous ne parlons plus la langue. Nous avons oublié cette langue.