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Critique de kielosa



Le grand leader turc semble actuellement (légèrement) en perte de vitesse, comme la laisse supposer son annulation des élections municipales récentes d'Istanbul. Il est vrai que les résultats n'étaient guère favorables à Erdoğan, ce qui est une bonne chose en soi et devrait rendre optimiste la redoutable journaliste turque, Ece Temelkuran. Quoique dans les bleds paumés d'Anatolie ou la carte islamique joue un rôle de première importance, il reste dangereusement populaire.

L'auteure est née à Izmir, il y a 45 ans, et après ses études de droit à l'université d'Ankara est devenue chroniqueuse au quotidien "Milliyet" (= La Nation) de 2000 à 2009 et pendant les 3 ans suivants pour "Habertürk" (= nouvelles turques), jusqu'à son renvoi, début 2012, pour sa critique à l'adresse du gouvernement Erdoğan III et le bombardement du village kurde d'Uludure, faisant 34 morts. N'empêche qu'elle a raflé 2 fois le prix de la journaliste politique la plus lue dans son pays. Craignant pour sa liberté (et peut-être même sa vie), Ece a pris la fuite et continue, à partir de Zagreb en Croatie, ses chroniques pour Le Monde Diplomatique et le Guardian.

Selon le Comité pour la Protection des Journalistes (CPJ), la Turquie est restée en 2017 le pire geôlier du monde avec 73 journalistes derrière les barreaux. Donc, pour elle rester dans son pays relèverait de la pure insouciance.

Parallèlement, elle a (déjà) publié 12 livres, dont 2 ont été traduits en Français : "À quoi bon la révolution si je ne peux danser", en 2016 et cette année l'ouvrage commenté ici. Ece est également l'auteure d'un roman fort original et intéressant "The Time of Mute Swans" (le temps des cygnes muets), paru le 7-11-2017 et pas encore traduit.

Ece Temelkuran démarre son ouvrage à Istanbul, le 15 juillet 2016, la nuit du fameux coup d'État militaire manquė.
Pour elle "ce n'est pas un coup d'État, nous le savons bien. ...il s'agit d'une mise en scène pour légitimer le régime présidentiel - aux dépens du régime parlementaire - que réclame le président Recep Tayyip Erdoğan..."

Dans ce plutôt long exposé (7 chapitres + une introduction, en tout 315 pages), l'auteure veut mettre en alerte les pays tiers où un mouvement populiste est apparu qui menace plus ou moins sérieusement à bref ou à moyen terme les acquis démocratiques. C'est le cas de la Hongrie de Viktor Orbán par exemple.

Elle met en exergue la référence à ce qui est appelé faussement le "vrai peuple", les gens qui soutiennent les populistes. Il y a 3 ans, le petit rigolo de Nigel Farage parlait aussi de "victoire du vrai peuple" après le stupide référendum du Brexit du 23 juin 2016. Il célébrait d'ailleurs "l'indépendance de l'Angleterre" ( ? !), mais ne mentionnait plus sa promesse que la contribution du Royaume-Uni au budget de l'Union européenne irait maintenant intégralement à la caisse maladie nationale britannique ! Un gros mensonge délibéré, dit nonchalamment en passant, pour influencer le résultat du vote.

En Turquie, le "vrai peuple" ne sont sûrement pas les citadins d'Istanbul et d'Ankara qui osent voter pour un autre parti que l'AKP (Parti de la justice et du développement) du bey Erdoğan ou tout individu critique à l'adresse de l'homme qui contrôle le pays depuis 2003, soit depuis déjà 16 longues années. Pour Erdoğan, le vrai peuple est à l'opposé de ce qu'il qualifie "d'élite oppressive", comme si lui ne serait pas l'oppresseur principal de la nation.

D'après la journaliste turque, les ouvrages de George Orwell et Hannah Arendt se retrouvent de nouveau sur la liste des best-sellers, ce qui est évidemment révélateur. En ce qui concerne "Les origines du totalitarisme" de la grande philosophe allemande, cela se comprend, bien entendu. Et d'Orwell elle fait référence à "1984", "big brother" et le contrôle de la presse par Erdoğan et sa fine équipe.

Un point sur lequel je suis légèrement en désaccord avec Ece Temelkuran se réfère au rôle des personnes. Selon elle, remplacer des Trump, Orbán..... ne changera pas grand-chose, parce qu'ils seront aussitôt succédés par des gugusses du même gabarit. Je pense personnellement que dans la pratique ce n'est pas si facile de trouver des remplaçants qui soient en mesure de continuer purement et simplement la même politique de la même façon.

L'intérêt de cet ouvrage réside à mon avis dans la finesse de la description du système Erdoğan : comment il s'est débrouillé pour assurer la mainmise sur un État dont l'importance stratégique, à cheval entre 2 continents, ne saurait être surévaluée. Tandis que Mustafa Kemal Atatürk (1881-1938) a essayé d'introduire la Turquie dès 1923 dans le monde moderne, Erdoğan lui, préfère un retour en arrière, une politique rétrograde, qui lui permet de maintenir et d'accroître son propre pouvoir. Ses 2 atouts majeurs : l'islam et le populisme.

Une combinaison néfaste (religion + populisme) contre lequel Ece Temelkuran, avec beaucoup de clairvoyance et de fougue, en donnant le triste sort de son pays en exemple, s'insurge et veut éviter qu'un système analogue de gouvernement s'instaure dans d'autres pays occidentaux lors des prochaines élections.
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