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Critique de kielosa



Je tiens tout d'abord à remercier les éditions du Temps Présent et Babelio pour l'envoi du présent ouvrage dans le cadre d'une opération masse critique privilégiée .

L'ouvrage constitue une vaste fresque dans le temps, virtuellement toute la première moitié du XXe siècle, et l'espace, de l'Ukraine russe, en passant par la Palestine et l'Espagne, racontée par un vieux monsieur, Sioma Thabor, né en 1905, à son fils Alexandre, l'auteur, né en 1928, à l'occasion de leurs retrouvailles en mars 1958 à Paris.

Il s'agit d'une histoire de "bruit et de fureur" pour reprendre le titre de l'oeuvre célèbre de William Faulkner de 1929, de luttes et combats pour les bonnes causes comme la dignité humaine, la justice et l'égalité des hommes.
Luttes et combats qui s'alternent avec une belle histoire de (grand) amour et la manifestation de nobles convictions idéalistes et de fréquents renvois à Littérature avec (un l'majuscule), des philosophes et écrivains, tels Spinoza, Balzac, Stendhal, Shakespeare...

La devise de l'héros est d'ailleurs une maxime d'Héraclite : "Sans l'espérance, vous ne trouverez pas l'inespéré".

La première partie du récit (78 pages) est située à Odessa, la ville portuaire actuellement ukrainienne sur la mer Noire, que je connais relativement bien pour des raisons personnelles mon épouse étant Odessite, ce qui m'a conduit à la lecture d'une mini-bibliothèque sur cette ville particulière, créée par la tsarine Catherine II de Russie et qui a connu comme premier gouverneur de 1803 à 1814 le cinquième duc de Richelieu, dont une imposante statue orne le Boulevard Prymorski, à un endroit stratégique de la ville et du port.

Odessa a été une importante ville juive, et par leur nombre, en 1900 ils étaient pratiquement 125.000 soit 30 % de la population et par leur influence, grâce à toute une série d'écrivains tels Chalom Aleikhem (1859-1916), Isaac Babel (1894-1941), Ilya Ilf (1897-1937)...et des personnalités politiques comme Vladimir Jabotinsky (1880-1940).

Aujourd'hui, les Juifs ne représentent plus que 3 % des 1 million d'Odessites.
Pourtant la blague y a toujours cours. Un touriste demande un jour à une babushka (grand-mère) odessite : "Combien d'habitants compte Odessa ?"
La vieille dame répond : "Un million". " Et combien de Juifs ?" Et la babushka légèrement irritée, lui répond : "Mais je viens de vous le dire, 1 million !"

L'histoire commence avec la mort par balle de l'ami de l'héros dans la Moldavanka, le quartier juif d'Odessa, en 1913. Ce coup de feu par un soldat tsariste lors d'une manifestation pacifique contre les bas salaires fait du galopin Sioma, 8 ans, un révolutionnaire.

À cette époque, Odessa constituait le carrefour d'un nombre incroyable d'armées : outre les Blancs et les Rouges et leurs alliés respectifs, il y a les cosaques, les troupes de l'indépendantiste ukrainien, Symon Petlioura (1879-1926), et les Cent-Noirs, un mouvement nationaliste, monarchiste, d'extrême droite et antisémite.

Cette dernière caractéristique était virtuellement commune à tous ces soldats réguliers et irréguliers. En dépit des instructions formelles de Lénine et Trotsky, pratiquement tous ont commis des excès contre les Juifs, allant de simple vol et incendie aux viols systématiques des femmes et gamines juives et du meurtre à grande échelle des hommes et garçons juifs.

Pour compliquer davantage l'existence des Juifs d'Odessa, comme Abraham et Rachel Thabor et leurs fils Sioma, la communauté juive était divisée entre traditionalistes et sionistes et même cette dernière catégorie comptait différentes fractions : entre autres les socialistes (le mouvement marxiste Poalé Zion) et ceux de la droite du révisionniste Jabotinsky.

C'est dans ce climat de pogroms et d'angoisses, où en plus régnaient la pauvreté et la pénurie que naissait cet amour passionnel entre l'idéaliste Sioma Thabor, 15 ans, et la romantique Tsipora Eppelbaum, 13 ans. Une liaison fort contestée par sa famille à cause de leur âge et l'aisance d'Isaïe Eppelbaum, négociant et banquier.

Mais rassurez-vous, l'amour a vaincu, obligeant le jeune couple toutefois à s'émigrer, en février 1924, en Palestine dans un kibboutz à Nahalal à une trentaine de kilomètres à l'est d'Haïfa.
Seulement, Sioma est comme activiste politique, en 1936, expulsé de Palestine par les Britanniques et il a continué la lutte dans les rangs des brigades internationales contre Franco pendant la guerre civile espagnole.

Au moment des retrouvailles entre père et fils 22 ans plus tard à Paris, le point le plus délicat est la mort de Tsipora de typhus à Auschwitz, en janvier 1945, moins d'une semaine avant l'arrivée des Russes. C'est la raison qui pousse le père à raconter les motivations de son action, qui a entraîné une séparation forcée de sa bien-aimee Tsipora.

Je recommande vivement cet ouvrage qui combine l'horreur d'une certaine réalité de société avec la beauté de l'engagement et du courage de quelques individus dans un récit à la fois instructif et envoûtant.
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