Citations sur Digital way of life - Intégrale (31)
Je me suis toujours intéressée aux entrefilets, aux nouvelles glissées dans le fil abondant et fluctuant de l’actualité. À ces nouvelles masquées par la grande polémique du moment. Ces informations presque passées sous silence et qui tracent, pourtant, les contours d’un monde qui se construit malgré nous.
Tout avait lamentablement échoué, Désormais, il ne s'agissait plus de surdéveloppement de la parole ni même d'hypertexte. Il n'y avait plus de traitement. Plus d'espoir. Elle venait elle-même demander ce qu'elle avait toujours refusé d'envisager.
“Il délaisse même les mathématiques et les sciences programmatiques. Il n’écrit plus une seule ligne en français automatique. Il ne va plus sur aucun réseau social. Il ne veut plus aller en cours. Il est coupé du monde.
– Qu’est-ce qu’il fait de ses journées ?
– On a baissé les bras, fit Sibelle, amère. On lui a laissé le livre de son arrière-grand-mère.”
Trémo se raidit.
“On ne sait plus quoi faire… Il devient violent. Il nous insulte. Il nous traite d’abrutis, de dégénérés. Tant qu’il lit, au moins, il n’est pas dangereux pour lui-même et pour les autres.”
La voix de Sibelle se fit lasse et douloureuse.
“Il s’enferme dans sa chambre. Il passe ses journées là-dedans avec ses “bouquins” comme il dit. Il descend à peine pour manger. On a tout essayé. Orthopsychologue, addictologue. Rien… Rien. Il reste figé comme une statue. Des heures entières. Des jours entiers. Sans parler. Sans bouger. À part ses yeux”.
À son tour, elle pénétra dans la salle de bains d’un pas traînant. Ce matin, comme tant d’autres, elle avait la sensation d’être sur pilote automatique. Elle n’avait envie de rien et rien ne lui faisait vraiment envie dans un délai proche ou lointain. Elle ne manquait de rien. Sa petite vie se déroulait sans anicroche.
Il sortit de la pièce, le sourire aux lèvres. Ses pensées dérivaient vers un monde où les hommes ne pensaient pas comme des machines, où le mot "philosophie" avait encore un sens, où les hommes pouvaient ouvrir leur coeur et leur esprit dans toutes ses fluctuations et nuances possibles.
– Alexia, annule la pratique d’exercice.
– Selon l’analyse faciale réalisée par votre miroir connecté, les données de masse corporelle de votre balance connectée et votre dernier bilan sanguin, la pratique d’exercice est vivement conseillée pour :
« Faire baisser votre taux de cholestérol ;
« Renforcer votre ceinture abdominale et vos muscles fessiers ;
« Lutter activement contre les signes de dépression légère.
– Merde ! » hurla Cécile qui, dans ces moments-là, donnait amplement
Elle se doucha et prit le parti de se plonger dans un bon bouquin jusqu’à l’heure du repas. De ne rien faire pour une fois. De se laisser emporter hors de ces murs dans une histoire pleine de personnages qui ne feraient jamais partie de sa liste de contacts, pleine d’aventures et de suspense que sa vie minutée par Alexia ne lui offrirait jamais.
Danny pensa qu’il rêvait ou que son esprit lui jouait des tours, jusqu’à ce que l’apparition parle. Seule la bouche s’animait, comme si chaque élément de ce visage agissait indépendamment de l’ensemble, comme ceux de ces robots humains glaçants de perfection et d’impassibilité.
Il bougea légèrement les bras et les jambes, qui répondirent faiblement, mais qui répondirent néanmoins. Vivant. Il était vivant et ne serait pas handicapé : il pourrait marcher, utiliser ses mains, voir, entendre, parler. Miraculé. Ce docteur avait raison : il était un miraculé.
L’infirmière approcha les fins ciseaux médicaux du visage de Danny et trancha la gaze qui émit un bruit poudré et crissant de neige qu’on piétine. Avec concentration et précision, elle coupa et préleva des morceaux de bande qu’elle déposa dans un haricot en inox posé sur le chariot. Au gré de ces prélèvements, Danny sentait une fraîcheur vivifiante caresser sa peau. Il retrouvait sa mobilité faciale comme si on ôtait un masque d’argile qui aurait séché sur sa peau.
Abattu, le juge se tourna vers le juré qui, droit dans ses bottes, savourait crânement son petit coup d’éclat.
On fait quoi ?
– On demande au ministère de reprendre le protocole et le cahier des charges pour vérifier.
– Mais ils font plus de sept mille pages chacun, s’alarma l’informaticien.
– On ne vous demande pas de les lire, mais de faire la demande.