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Critique de Kirzy


Kirzy
21 décembre 2022
Il était une fois la guerre au Shonga, Etat fictif quelque part en Afrique Subsaharienne, des séparatistes au Nord qui sert de base arrière à de nombreuses mouvances terroristes, une guerre civile qui n'en finit plus. Et des soldats français envoyés en renfort de l'armée nationale impuissante, dans un contexte d'attentats terroristes sur le sol français. Sébastien Franqui est un de ses soldats, service logistique, chef de convoi. Plusieurs missions au Shonga sur 17 ans, avant la débâcle. le gouvernement français stoppe l'opération et décide de purger de l'armée tous les anciens du Shonga, jugés irrécupérables et ne faisant pas beau sur la photo d'une armée française qui essaie de se donner une nouvelle image, plus propre, plus souriante loin de la guerre sale du Shonga.

Le narrateur est un reporter de guerre, frère d'âme de Sébastien. C'est par sa voix, forcément empathique que l'on découvre le parcours de Sébastien et sa bascule dans l'abîme. On sait d'emblée que le récit va être sombre, très sombre. La dernière phrase du prologue évoquant Sébastien « transformé en bombe à retardement que les hommes ont lentement amorcée jusqu'à l'explosion », puis les titres de chapitres qui suivent, « Bombe amorcée », « J-1095 », ne laissent aucune place au doute. Esthelle Tharreau maitrise parfaitement un suspense distillé goutte à goutte. On a l'impression d'entendre l'irréversible tic-tac dans notre tête.

On a déjà beaucoup écrit ou filmé sur les traumatismes des soldats, toute guerre confondue. Sur ce point, le roman ne surprend guère mais impressionne par la qualité des détails sur les atrocités de guerre vues et vécues par Sébastien, notamment l'épisode du camp de réfugiés. La plume d'Esthelle Tharreau, alerte et fluide, épouse toutes les cabosses de la guerre, collée au plus près des émotions de Sébastien, comme lorsqu'il ne parvient à oublier le regard « scarifié par une larme » d'un enfant shongais avec lequel il s'était lié et qu'il a l'impression d'avoir abandonné, comme une malédiction qui le poursuit.

Ce qui surprend le plus, c'est le choix de déplacer la focale sur la famille et ceux qui restent au pays, en l'occurrence Claire, l'épouse de Sébastien, et leur fille Virginie.

La famille, c'est vraiment la grande oubliée des récits de guerre ( bien que récemment, j'ai vu un film sur le sujet, Mon légionnaire, de Rachel Lang, auquel j'ai pensé malgré un traitement très différent ). Esthelle Tharreau restitue avec une grande intelligence émotionnelle le quotidien de Claire et Virginie confrontées à l'absence, à la peur, aux manques de nouvelles, à l'hostilité du regard extérieur porté sur l'armée, et surtout à l'impossibilité de communiquer qui génère un mur d'incompréhensions et de malentendus. Sébastien est un homme brisé, qui ne parvient pas à entamer sereinement sa réinsertion dans une société qui rejette ces hommes de guerre emplis de cauchemars et de béances. Il s'enfonce dans une solitude taiseuse et douloureuse que seuls peuvent comprendre ceux qui ont fait la guerre. Peut-on seulement guérir de la guerre ?

Le personnage de Claire est très réussi, fidèle Pénélope usée qui ne parvient pas à raccrocher son homme à la vie. La narration passe de l'un à l'autre, revenant très pertinemment sur plusieurs scènes vues sous les deux angles, comme la scène bouleversante où Sébastien, revenu d'une de ses missions au Shonga, fait la connaissance de sa fille nouvellement née. Lorsque le narrateur confronte la première version, celle de Sébastien, à la version de Virginie, tout s'éclaire, tout se reconnecte et le regard du lecteur évolue totalement. J'ai énormément apprécié ces changements de focale qui apportent beaucoup de densité au récit.

Un roman noir d'une grande finesse psychologique jusqu'à sa fin, inattendue qui rebondit dans une direction qu'on n'avait pas vu venir et qui semble pourtant tellement évidente.
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