Avec «
Ceux Qui Restent », de
Jean Michelin, j'avais l'impression que l'auteur maintenait un peu de distance entre nous et ses personnages soldats, nous empêchant d'accéder totalement à eux, à ce qu'ils pensaient et ressentaient en profondeur et pas seulement en surface tout public. Et cette retenue pudique constituait probablement les dernières barrières qui permettaient à chacun de tenir le coup. Ce n'est clairement pas le cas d'
Estelle THARREAU dans «
Il Etait Une Fois La Guerre » ! Elle nous donne accès à tout, les faits, pensées et ressentis de son personnage principal dont, pour le coup, les barrières menacent de s'effondrer. Et ça remue le lecteur.
En tant que soldat, Sebastien Braqui conduit les convois logistiques pour l'armée. Il est envoyé à quatre reprises à Shonga, où l'intervention de l'armée vise notamment à éviter les attentats ici. Mais à chaque mission le pays s'est enfoncé un peu plus dans la violence, et les soldats sont confrontés à de plus en plus d'horreur, de souvenirs traumatisants, d'images indélébiles et de sentiments ambivalents.
A cela s'ajoute que les soldats ont mauvaise presse, car plus cette guerre s'enlise, plus l'ennemi utilise des images choquantes pour justifier de nouveaux attentats, n'hésitant pas à utiliser les enfants. Les politiques se sentent obligés d'amorcer un retrait des troupes en déplorant LEUR échec (pas celui de la nation qui les commande hein^^) pour ramener la paix, et LEUR méthode inappropriée. Aussi à chaque retour au pays, les soldats dont Braqui se sentent toujours plus désavoués, dénigrés, abandonnés, à la fois par leur pays, leurs concitoyens, leurs dirigeants, leur hiérarchie qui finit par les placardiser, les abandonnant à la vie civile à laquelle ils ne sont plus adaptés… Mais aussi leurs familles.
Celle de Sébastien est en déliquescente depuis la première mission. La faute aux non-dits qui nourrissent l'incompréhension de sa femme et de sa fille. Mais comment expliquer ce qu'il a été contraint de faire et de voir là-bas sans les choquer encore plus et qu'elles le détestent ? Sébastien ne peut pas parler non-plus aux psy de l'armée tant « tout ce qu'il dira pourra être retenu contre lui », et les psy civils sont hors budget, hors réalité, hors tout. Et puis Sébastien n'est pas taré ! Ca non, il fait juste peur à sa femme et sa fille en hurlant chaque nuit les horreurs dont il ne sait plus quoi faire et dont il ne veut plus. Il crie les sacrifices qu'il a dû faire pour un pays qui l'accueille désormais en lui jetant des pierres, et en le « purgeant » de l'armée sans jamais lui offrir un accompagnement digne de ce nom. Et la souffrance et les sacrifices de sa famille ne sont pas oubliés non-plus.
Son histoire est prenante, triste mais aussi effrayante, du fait de ses propres réactions autant que du réalisme des guerres et de la politique. Grâce à une narration alternant les temporalités (en mission puis en famille), on ressent bien le désespoir et la rage de Sébastien. Pourtant, ce n'est pas lui qui nous raconte son histoire. Ce n'est pas non-plus un frère d'arme, plutôt un frère d'âme : Reporter de guerre, le narrateur a subi les mêmes expériences que Sébastien lors de ses missions et, pour avoir divorcé trois fois, il connaît les retours brutaux, la solitude et ce sentiment d'abandon dans l'horreur, d'impossibilité de s'en sortir, les envies d'alcool toujours plus forts. Il sait l'importance de tout ce qui se joue sous ses yeux, et reconnaît une bombe humaine, prête à exploser, lorsqu'il en voit une.
Ce récit est donc construit comme le compte à rebours d'une explosion programmée… Formé au pire, Sébastien apparaît au lecteur aussi dangereux que fragile, aussi effrayant que bouleversant. Non, c'est sûr,
Estelle THARREAU n'a pas écrit pour ne rien dire. Elle écrit pour révéler, dénoncer, expliquer, toucher. Elle écrit pour sensibiliser, pour solidariser. Pour informer. Peut-être aussi pour alerter et… tenter de faire changer les choses, à son échelle. La fin romanesque ainsi que la plume directe et fluide inscrit ce récit dans la lignée de "
Ceux qui restent". Evidemment, malgré quelques beaux passages d'écriture, c'est raide pour tout le monde : le soldat, la famille, les politiques et le lecteur. Mais c'est nécessaire, pour connaître le monde dans lequel on vit, comprendre les tenants et aboutissants avant de juger et, surtout, pour tenter d'améliorer un système qui, s'il fonctionne vraiment ainsi, est imparfait, voire écoeurant. le dénouement un peu rapide aurait pu pénaliser la cohérence d'ensemble si tout ce qui précède ne nous avait pas suffisamment marqué ; aussi, en l'occurrence, il survient comme une délivrance.
« Il était une fois un homme bon devenu une plaie à vif.
Il était une fois un homme et une femme ; un premier de cordée qui entraîne le second dans sa chute.
Il était une fois un soldat ayant dépassé le seuil d'horreur qu'il pouvait endurer et que la vie a transformé en une bombe à retardement que les Hommes ont lentement amorcée jusqu'à l'explosion.
Il faudrait peut-être commencer ce récit tout simplement par “
il était une fois la guerre”. »