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Critique de GeorgesSmiley


Puissant et très émouvant ! Musique et persécutions rythment la vie d'une famille chinoise, de la guerre sino-japonaise à la répression de Tian'anmen. Ils aiment et jouent (très bien) Bach, Beethoven, Prokofiev et Ah Bing (que je viens de découvrir avec beaucoup de plaisir grâce à ce roman). Une famille de musiciens que nous suivons sur trois générations. Trois générations sacrifiées sur l'autel d'une idéologie qui voulait créer un Homme Nouveau et qui n'aura réussi qu'à en massacrer cruellement plusieurs dizaines de millions.
Le titre anglais (ne pas dire que nous n'avons rien) en dit plus que sa version française. Les personnages sont dans l'impossibilité de se plaindre des misères et de l'injustice qui leur sont faites. Non seulement, ils doivent souffrir en silence, sans pouvoir clamer leur innocence, mais on les force à avouer des fautes qu'ils n'ont jamais commises. Ceux qui refusent sont exécutés ou poussés au suicide. Au fil des pages, à travers le destin tragique de ces modestes et attachants personnages, qui ne souhaitaient qu'aimer leur famille et travailler le don dont ils avaient hérité, mais qui seront tous brisés par cette effroyable mécanique, l'auteure règle le compte du Maoïsme, effroyable usine à malheur et à cruauté, tapie derrière des grands mots poétiques dont la Chine a le secret : Grand Bond en Avant, Cent Fleurs, Révolution Culturelle. C'est fort !
Commençons par la musique, à la fin des années 40 : « C'était une époque de chaos, de bombes et d'inondations, où les chansons d'amour coulaient des radios et sourdaient dans les rues. La musique accompagnait les mariages, les naissances, les rituels, le travail, les défilés, l'ennui, les affrontements et la mort ; la musique et les histoires, même en des temps comme ceux-là, étaient des refuges, des passeports, partout. »
« A l'époque, un village pouvait changer de mains toutes les deux ou trois semaines, un jour dans celles des communistes, l'autre dans celles des nationalistes, et le lendemain, des Japonais… Mais dans les salons de thé, tout le monde pouvait partager quelques chansons. Les gens savaient que la famille et les liens du sang étaient réels, racontait Mère Couteau. Ils savaient que la vie ordinaire avait déjà existé. Mais personne ne pouvait leur dire pourquoi, du jour au lendemain et sans raison valable, tout ce qui leur était cher avait été réduit en poussière. »
Vous avez raté l'évolution politique de la Chine sur les soixante-dix dernières années ? Ce roman vous remettra à jour d'une façon que vous n'oublierez pas.
Ils n'ont que la solidarité familiale et la musique pour affronter les cataclysmes qui vont s'abattre sur eux pendant soixante-dix ans. Grand Bond en Avant, Cent Fleurs, Révolution culturelle. Jusqu'à l'espoir noyé dans le sang de la place Tian'anmen (Paix Céleste !). En guise de fleurs ou de bonds en avant, il n'y a que dénonciations, spoliations, séances d'autocritiques, seuls face à la foule haineuse et violente, défilés en ville pour subir insultes, crachats, coups pendant de longues heures, déportations, camps de travail et de « rééducation », exil à l'autre bout du pays sans espoir de revoir ses proches, famines effroyables, obligation de dénoncer les propres membres de sa famille.
« (Zhuli) allait apercevoir les pancartes qui séchaient sur la table de la cuisine. Da Shan et Ours Volant avaient été forcés de critiquer Zhuli, Vrille et Wen le Rêveur. Ces dénonciations seraient affichées au matin. Traitez-la de fille de sale droitiste, leur avait ordonné Ba Luth. Il le faut. Allez écrivez. Ne me regardez pas comme ça. Ce n'est rien, seulement des mots. Da Shan, si tu ne dénonce pas Zhuli, ce sera encore pire pour elle. Ils reviendront en disant qu'elle est un démon, qu'elle s'est infiltrée dans nos vies. Laissons-les nous humilier, si c'est ce qu'ils veulent. Mieux vaut être humble, tu ne crois pas ? Tu ne voudrais pas que ton pauvre père, que tes frères perdent la vie ? L'adolescent trempa son pinceau en tremblant. Avec soin, il traça le nom de Zhuli.»
La fin du roman est d'une telle intensité, les personnages tellement émouvants qu'on finit par tourner les pages à la vitesse d'un bon polar. Que peut-on accepter de faire pour continuer à vivre lorsqu'on est déjà un survivant ? Jusqu'où peut-on s'oublier et tendre la main à celui qui est en danger?
A lire absolument, si possible en écoutant de la musique traditionnelle chinoise qui, avec erhu, dizi et pipa, accompagne tellement bien ce voyage aussi éprouvant que poétique.
Mes remerciements à Babelio et aux éditions Phebus qui m'ont permis de découvrir en avant-première ce magnifique roman.
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