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Critique de Antyryia



La rigidité / A gagné nos corps / L'un par l'érection / L'autre par la mort.
Je pénètre enfin / Au fond d'une charogne, / Dans l'acte divin / de l'amour de coeur.
Je suis nécrophile. / Je suis magicien. / J'insuffle la vie / Dans le corps des morts.
Presque poétiques si elles ne représentaient pas une scène aussi macabre qu'immonde, ces paroles d'Olivier Déhenne sont un nouvel exemple de la perversité humaine qui ne connaît aucune limite.

Si ces textes du groupe Eros Necropsique se sont imposés dès le début de ma lecture de la faille, ce n'est pas uniquement parce que Franck Sharko et son équipe ( Lucie Hennebelle, Nicolas Bellanger, Audra Spick et Pascal Robillard ) traquent d'entrée de jeu un tueur nécrophile lors d'une enquête qui virera au fiasco. C'est parce que le thème choisi par Thilliez lors de l'écriture de ce roman est la mort justement. Et à contrario la vie bien sûr, puisque le fil qui relie les deux est parfois bien plus ténu qu'il n'y paraît. Quelle est la frontière ? Qu'y a-t-il après ? La science a-t-elle davantage de réponses aujourd'hui ?
La grande Faucheuse fascine autant qu'elle effraie, et cette longue enquête aux multiples rebondissements pour identifier une victime et localiser son donneur d'organes sera avant tout un prétexte pour nous parler de la mort suivant de multiples angles, parfois insoupçonnés.

Avec ses faux airs de Destination finale et une série de victimes ayant réchappé à une mort certaine quelques années plus tôt, l'auteur évoque la religion chrétienne, ses crucifix protecteurs de démon, la présence d'un paradis et d'un enfer. le fameux tunnel de lumière blanche où l'on se dirige, apaisé, vers les siens mais aussi les tourments éternels promis par des créatures diaboliques. Pas un mot au final sur les autres croyances que le catholicisme et des propos qui suscitent davantage l'effroi du lecteur quant à l'au-delà que la moindre preuve d'une quelconque vérité.

Cependant, pour évoquer ce qu'il reste potentiellement après le dernier souffle, il fallait parler de l'âme, qui pour moi est une notion qui relève davantage de la religion. Quant à son poids de 21 grammes, la théorie de Duncan McDouglass a été mise à mal depuis longtemps.
"L'esprit et le corps fonctionnent ils de manière indissociable ? L'âme continue-t-elle à exister sans son support charnel ?"
L'âme serait pour les uns la conscience, pour les autres les pensées.
"Comment l'âme apparait elle ? Comment interagit elle avec les organes ?"
Là encore pas de réponse définitive, quelques doutes semés avec l'existence de médiums capables de communiquer avec les défunts ou avec les expériences de décorporation, de mort imminente.
Mais sans cerveau, le corps revenu à la poussière, que peut-il subsister après ? Que peut-on voir ou ressentir ? Quelle place pourraient avoir nos souvenirs ?
Rien d'imaginable en tout cas.
Ou le néant complet, total.

Je savais qu'il serait également question d'éthique médicale dans ce roman, autour du sujet on ne peut plus d'actualité de fin de vie. Il ne sera pourtant pas question du droit à l'euthanasie en France comme je l'aurais pensé mais uniquement de l'acharnement thérapeutique une fois la mort cérébrale constatée.
Ce n'est pas la question que j'aurais trouvée la plus intéressante comparé au refus du droit à mourir dans la dignité, ou celui de s'acharner sur des personnes qui ont exprimé d'une façon ou d'une autre leur désir de mourir, au vu d'intolérables souffrances ou handicaps physiques.
"Il n'était plus question d'une vie, mais d'enjeux politiques, de sondages, de débats houleux entre les partis."
Dans le fond, le maintien des battements cardiaques d'une personne qui ne souffre désormais plus ne semble pas une question aussi primordiale. Et c'est d'ailleurs l'un des rares cas où l'arrêt des machines sera préconisé. Il n'est pas question d'un refus de la délivrance souhaitée. Mais il existe comme toujours des exceptions et des aberrations, qui vont ici d'autant plus attiser nos émotions et conduire à la réflexion qu'elles concernent un membre de l'équipe de Sharko. La mort plane donc sur eux de façon concrète en plus d'être le trait d'union de leur enquête.
Je n'avais jamais entendu parler auparavant de Jahi McMath, jeune fille déclarée morte en Californie en 2013. Très croyants, ses parents ont cependant refusé qu'elle soit débranchée au respirateur qui maintenait une vie physique, aussi infime soit-elle. Bourreaux pour les uns, sauveurs pour les autres, ils la placeront dans un institut spécialisé. Elle aura ses règles, quelques spasmes musculaires, et sera de nouveau déclarée morte en 2018 dans le New Jersey après l'ultime battement de coeur.
C'est à ce genre de contradictions que La faille nous confrontera.
C'est étrange cette faculté législative à considérer le foetus comme un objet jusqu'à un délai de grossesse variable selon les cas et de ne pas toujours raisonner juridiquement de la même façon que pour le droit à l'avortement.

Omniprésente, la mort sous toutes ses formes revêt des atours majoritairement noirs, putrides et cruels tout au long d'un roman qui ne comporte guère d'espoir.
Je ne connaissais pas l'existence du syndrome de Cotard : "Certaines personnes pensent que leur corps est déjà mort et pourrit de l'intérieur, rongé par les asticots."
Au final j'ai quand même appris beaucoup de petites choses jusqu'au final terrifiant du roman, qui emmène le lecteur vers une zone d'ombre bien réelle et totalement inattendue. Et pour parfaire le tout, j'aime quand un roman me fait réfléchir et me procure des émotions, et ça a incontestablement été le cas ici.
Mon seul bémol, que le roman n'ait pas tenu toutes ses promesses et se soit attardé sur des théories fumeuses Paradis / Purgatoire / Enfer au détriment de nombreux thèmes, plus intéressants à mon sens, qui n'ont pas du tout été abordés ou à peine effleurés.
Mais pas de quoi renier mon plaisir de lecteur pour autant, loin de là.

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