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Critique de berni_29


En introduction de ce court récit autobiographique, l'auteure Kim Thúy, nous indique : Ru signifie « petit ruisseau » et, au figuré « écoulement ». En vietnamien, ru signifie « berceuse », « bercer ».
J'ai aimé cette voix qui parle d'exil, de déracinement, d'arrachement. L'exil, c'est aussi une manière de renoncer sans oublier, de reconstruire après.
Les pages s'égrènent comme des fragments de vies, entre la vie d'avant et celle d'après. C'est comme un patchwork, une mosaïque qui s'édifie sous nos yeux, sous nos doigts. Entre les deux, il y a la mer, une embarcation qui tangue dans l'océan, ses occupants ne savent plus très bien ce qui sépare le jour de la nuit, la mer du ciel. Nous sommes à la fin des années 70 lorsque Kim Thúy et sa famille fuient comme tant d'autres le régime communiste du Vietnam, après le départ des soldats américains. Ils font partie des boat people. La terre promise et qui les accueillera sera le Canada.
Le souvenir est un désordre, un dédale, chaque page est un fragment qui se détache de l'existence de l'auteure pour venir se poser sur ces pages et sur nos lèvres. Son émotion est à peine perceptible, enfouie dans un voile de pudeur qu'elle desserre peu à peu avec une délicatesse infinie.
Comment poser l'ancre sur une terre inconnue ? Se souvenir d'où l'on vient pour déjà forger un futur improbable.
Sans doute faut-il la famille pour survivre à l'exil, des bras pour être bercé, comme dans le bruissement de l'eau d'un ru.
Il y a justement cette famille présente dans le livre, ceux qui sont partis, ceux qui sont restés, ceux qui ne sont plus là. Elle les invite un à un dans ce récit généreux, parfois de manière tragi-comique.
L'exil, c'est aussi le renoncement matériel, laisser derrière soi une maison, tous ces objets impossibles à emporter dans une seule valise. Alors il faut emporter autre chose, la beauté de la mémoire capable à chaque instant de faire ressurgir l'étonnement, l'émerveillement, la fragilité d'un mot, le bruissement d'un feuillage, le rouge profond d'une feuille d'érable, le parfum d'une pivoine à peine éclose, le goût d'un fruit. Il reste alors une manière de marcher jusqu'à ses rêves jusqu'à l'infini. Parfois un dernier attachement aux objets résiste, qui n'est peut-être pas que matériel, un éventail, un bol, derniers liens aux soucis terrestres.
Le don de rêver est un héritage magnifique, pourquoi ne le cultivons-nous pas plus fortement ? Il faudrait offrir à nos enfant des livres qui parlent d'exil et puis aussi en parler dans les écoles.
Ru est un livre actuel, ce livre m'a touché pour cela aussi, les embarcations des boat people au large de la Malaisie ont désormais été remplacées par des embarcations tout aussi fragiles qui traversent la Méditerranée, quittant la Libye pour échouer sur les plages italiennes ou grecques. C'est toujours la même chose, rien n'a changé, l'horreur de ce que la terre natale peut devenir brusquement, la folie humaine toujours, oblige sans doute à trouver la force un jour de partir, la peur au ventre.
Un ru, même s'il court son chemin imperturbable, peut devenir parfois un ruisseau turbulent.
Ce récit aime la vie.
Merci à toi Anne de m'avoir donné envie de découvrir ce très beau et sensible récit.
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