J'ai appris les couleurs aussi : le vert de Montauban, l'orange de Narbonne, le violet du PUC, les damiers de Romans et de Bègles, le tango de Chalon que Michel Vannier dansait sur un seul pied, et l'ovale s'envolait entre les perches, olé !
J'ai fait de grands progrès en géographie pour équilibrer tant soit peu ma condition de cancre.
Elève Tillinac, où se trouvent Graulhet, Lannemezan, Castres, La Voulte, Beaumont-de-Lomagne, Saint-Vincent-de-Tyrosse ?
Je levais le doigt vers le ciel où planaient des ballons ovales ; mes anges gardiens me soufflaient la réponse adéquate : Carmaux, Tarn, vert et noir, fief de Jaurès et patrie de Pages, championne de France en 1951.
Même les appellations trahissent une compromission du royaume d'Ovalie avec les vilaines mœurs de notre fin de siècle.
Au CA Bègles de toujours il convient d'ajouter Bordeaux et Gironde, parce que Chaban et le conseil général arrosent les damiers.
Dimanche matin. Il pleut sur la RN 89 où s'étire un cortège de voitures décorées en bleu et blanc, en noir et blanc. Toute la Corrèze est sur la route, à l'exception des invalides et des bébés de quinze jours.
Que faire ? En soi le métier de président de la République m'eût amusé. Mais on est souvent pris le dimanche, et il faut vivre à l'Elysée.
Les entraîneurs n'avaient pas lu Freud, ils aboyait devant le joug des consignes sommaires : plus fort, plus vite, plus soudés. Les dirigeants ignoraient les subtilités du management, ils géraient leurs clubs à l'artisanale, avec des budgets d'épicerie.
Désormais, ils prétendent diriger une entreprise, adoptent le patois d'HEC, sollicitent le concours de pédagogues abscons, de sponsors dûment cravatés, de communicants, de médecins imbus de sophrologie et de diététique. Sic. On apprend aux internationaux comment parler à la télé pour ne rien dire - et si la langue est trop bien pendue, on les prive de Parc, ils ont péché contre "l'image".
Les équipements de tous les clubs ou presque affichent les bandes Adidas, le sigle Puma.
Pour ces estimables entreprises le rugby n'est pas un jeu, encore moins une culture, juste un "marché".
Au début des années cinquante Merckx fut tout aise d'aller prendre quarante pion et autant de marrons à Mayol : il n'avait jamais vu la mer.
D'Artagnan vous exhorte à prendre le galop, les incantations de Malraux vous chavirent, Don't be cruel vous brûle les sangs - et vos exaltations tournent en solitaire le long des parcs d'Allier, sur une Rossinante en forme de Solex, avec en croupe une duchesse de terminale affligée de couette à la manière de Sheila.
L'Équipe le lundi, Midi-Olympique en milieu de semaine, le Miroir du rugby une fois par mois, les Cahiers de l'Équipe une fois l'an : avec ces ingrédients, l'aficionado faisait sa mythologie dans le secret de son cœur. Elle était belle.
Surtout, il y a les joueurs. Rendons leur le rugby et on verra éclore, sur les décombres de la bureaucratie fédérale, des kyrielles de braves fantassins et de cavaliers fougueux.
Le passage du Solex à la Deu-deuche avait trahi une velléité légère d'embourgeoisement : je n'ai pas souhaité grimper plus haut sur l'échelle sociale, étant sujet au vertige.