AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,77

sur 93 notes
5
6 avis
4
7 avis
3
2 avis
2
1 avis
1
4 avis

Critiques filtrées sur 4 étoiles  
Depuis plus de quarante ans, j'étudie les analyses d'Emmanuel Todd qui, avec Alain Besançon et Hélène Carrère d'Encausse, annonça dès les années 1970 la chute de l'URSS, et observe depuis le début du siècle la décomposition du système américain. C'est l'un des contributeurs du blog «d'autodéfense intellectuelle » https://www.les-crises.fr, créé par Olivier Berruyer.

Le paradoxe de ce livre est que, partant d'une action militaire de la Russie, il amène à « la crise de l'Occident (…) avant de pénétrer la réalité de ce qui ressemble de plus en plus à un trou noir : au-delà de la spirale descendante de l'Europe, nous trouverons, au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, des déséquilibres internes d'une ampleur telle qu'ils en deviennent des menaces pour la stabilité du monde. (…) Car le vrai problème auquel le monde est aujourd'hui confronté, ce n'est pas la volonté de puissance russe, très limitée, c'est la décadence de son centre américain, elle sans limite. »

En 2022, le PIB russe représentait 8,38 % du PIB américain (et, combiné au PIB biélorusse, 3,3 % du PIB du camp occidental). Comment, malgré ce déséquilibre en leur faveur, les Etats-Unis en sont-ils arrivés à ne plus pouvoir fabriquer assez d'obus pour l'Ukraine ? La réponse (désindustrialisation ; effondrement du système éducatif ; déficit d'ingénieurs) se trouve dans les citations publiées.

Pourquoi une large majorité des pays représentés à l'ONU soutient la Russie et l'aide à contourner l'embargo technologique et les sanctions économiques ?

Les sanctions ont complètement raté leur but. « La saisie illégale des avoirs russes à l'étranger a soulevé une vague de terreur parmi les classes supérieures du Reste du monde. En traquant l'argent et les yachts des oligarques russes, les Etats-Unis (et leurs vassaux) ont, de fait, menacé dans leurs biens tous les oligarques du monde, ceux des grands comme des petits pays. Échapper à l'État prédateur américain est devenu partout une obsession et se dégager de l'empire du dollar devient pour tous un objectif raisonnable, même s'il leur faut procéder de façon prudente et progressive.» Il suffit d'observer les cours de l'or pour comprendre l'ampleur du transfert en cours.

La peur qu'inspire le Trésor américain n'est toutefois pas le seul motif qui a conduit les Saoudiens à s'entendre avec les Russes pour maintenir le prix du pétrole, les Turcs à entrer dans un rapport de compétition cordiale avec les Russes, les Iraniens à se rapprocher toujours plus de Moscou, les Indiens à demeurer dans une alliance de fait avec ses dirigeants. « Comme l'avaient pressenti les Occidentaux, les valeurs politiques et morales ont aussi compté, mais, malheureusement pour eux, dans un sens qu'ils n'avaient pas du tout prévu. Les valeurs occidentales, de plus en plus, déplaisent. »

« L'une des caractéristiques essentielles de notre époque est la disparition complète du substrat chrétien, un phénomène historique crucial qui, justement, explique la pulvérisation des classes dirigeantes américaines. Nous y reviendrons longuement : le protestantisme, qui, pour une bonne part, avait fait la force économique de l'Occident, est mort. Phénomène aussi massif qu'invisible, vertigineux même dès lors qu'on y songe un peu, nous verrons qu'il est l'une des clés, si ce n'est la clé explicative décisive des turbulences mondiales actuelles. »

Le sociologue définit 3 phases successives d'une religion. « Il existe une méthode empirique assez simple pour distinguer les trois phases - active, zombie et zéro - de la religion chrétienne, toutes branches confondues, et marquer les transitions de l'une à l'autre phase.

Au stade actif, l'assistance au service dominical est forte.

Au stade zombie, la pratique dominicale a disparu mais les trois rites de passage qui accompagnent la naissance, le mariage et la mort restent encadrés par l'héritage chrétien. Une population chrétienne zombie ne va plus à la messe mais continue majoritairement de faire baptiser ses enfants(…). A l'autre extrémité de la vie, une société chrétienne zombie continuera de refuser l'incinération, qui fut longtemps rejetée par l'Église.

Le stade chrétien zéro se caractérise donc par la disparition du baptême et un essor massif de l'incinération. Nous vivons tout cela. »

Les « valeurs » des élites disparaissent avec la religion comme le prouve l'extinction progressive aux USA des WASP (White Anglo-Saxon Protestant) : « Il est rituel de se moquer des WASP. Et il est vrai que cette classe supérieure, comme n'importe quelle classe dirigeante, véhiculait toutes sortes de préjugés ridicules. N'en demeure pas moins qu'elle était porteuse d'une morale et d'une exigence. Entre 1941 et 1945, ses membres les plus jeunes ont été envoyés, comme le reste de la population mobilisable, faire la guerre en Europe ou dans le Pacifique ; ils étaient, comme Roosevelt, issus de ce petit monde enchanté qui n'avait pas hésité à instaurer des taux d'imposition s'élevant jusqu'à 90 % sur les tranches supérieures de revenu. » Un dicton populaire disait que les Cabot-Lodge ne parlaient qu'aux Lowell qui ne parlaient eux-mêmes qu'à Dieu … aujourd'hui l'Amérique décadente élit Bush, Obama, Trump ou Biden …

Le nihilisme est l'aboutissement du déclin éthique et intellectuel : « Les faits sont simples (…). La génétique nous dit que l'on ne peut pas transformer un homme (chromosomes XY) en femme (chromosomes XX), et réciproquement. Prétendre le faire, c'est affirmer le faux, un acte intellectuel typiquement nihiliste. Si ce besoin d'affirmer le faux, de lui rendre un culte et de l'imposer comme la vérité de la société prédomine dans une catégorie sociale (les classes moyennes plutôt supérieures) et ses médias (le New York Times ; le Washington Post) nous avons affaire à une religion nihiliste. Pour moi, chercheur, je le redis, juger n'est pas mon affaire mais il m'appartient de donner des faits une interprétation sociologique correcte. Etant donné la large diffusion de la thématique transgenre en Occident, nous pouvons de nouveau considérer que l'une des dimensions de l'état zéro de la religion, en Occident, est le nihilisme. »

« Réfléchissons un peu et revenons sur le sens profond de l'idéologie transgenre (…). Elle dit qu'un homme peut devenir femme, et qu'une femme peut devenir homme. Elle est une affirmation du faux et, en ce sens, proche du coeur théorique du nihilisme occidental. Mais comment l'adhésion à un culte du faux pourrait-elle mener à une alliance militaire plus sûre ? Je pense pour ma part qu'il existe en fait un rapport mental et social entre ce culte du faux et la non-fiabilité désormais proverbiale des Etats-Unis dans les affaires internationales. Tout comme un homme peut devenir femme, un traité passé avec l'Iran dans le domaine nucléaire (Obama) peut se transformer, du jour au lendemain, en un régime de sanctions aggravé (Trump).

Ironisons un peu plus : la politique extérieure américaine est à sa manière gender fluid. La Géorgie et l'Ukraine savent désormais ce que vaut la protection américaine. Taiwan et le Japon ne seraient pas, j'en suis convaincu, défendus par les Etats-Unis contre la Chine. Ceux-ci n'en ont plus les moyens industriels. Mais, surtout, l'idéologie nihiliste, qui progresse sans cesse en Amérique, transforme le principe même du respect des engagements en une chose désuète, négative. Trahir devient normal. »

Le nihilisme et les sanctions expliquent pourquoi les pays africains rompent avec la France au profit de la Chine ou de la Russie.

Cet essai décapant, aux propos parfois provocants (sur les Ecoles de Management et leurs alumni ; sur les dirigeantes des pays nordiques), est étayé par une multitude de données économiques et sociologiques qui fissurent l'apparence des PIB et dévoilent forces et faiblesses des états nations.

Appel à une révolution intellectuelle et morale, puisse ce livre contribuer au sursaut de l'Occident !
Commenter  J’apprécie          658
J'ai découvert l'existence d'Emmanuel Todd,à la tv, lors d'une interview sur une chaîne d'informations continue.

Né en 1951, il est sociologue, démographe, anthropologue, historien et essayiste.
Auteur d'un nombre important d'ouvrages depuis 1976.

Controversé à différentes reprises :
il a été accusé de conspirationnisme notamment en 2012 concernant la crise financière en accréditant un plan visant à renverser la démocratie.

En 2014 et jusqu'à ce jour (mais un peu plus en retrait), on lui a reproché une certaine forme de propagande pro-russe et plus précisément pro-Kremkin.

Fort d'une riche expérience d'études diverses et de rencontres d'hommes politiques, de chercheurs et autres, il rédige un nouveau livre sur le déclin de l'occident, plutôt percutant.

Il nous présente sa vision sur l'origine du conflit en Russie ainsi que la situation démographique et économique du pays.

La même approche est présentée pour l'Ukraine, l'Europe (les différentes Europe), les États Unis, les pays non affiliés.

J'ai trouvé un certain nombre d'éléments cohérents et interessants dans la première partie du livre, quant aux « liens » entre la Russie et l'Ukraine mais je me suis un peu perdu les cent dernières pages sur le déclin de l'économie américaine appuyé par des explications chiffrées et étayées.

Un regard est aussi posé sur l'Inde, la Chine, la Turquie, le Danemark, l'Autriche..
C'est une prise de hauteur globale que j'ai trouvé pertinente (parfois inquiétante).

J'ai sentiment d'être plus riche au travers de cet angle de vue qui vient un peu s'opposer aux informations que l'on reçoit à sens unique et à longueur de journée.
Commenter  J’apprécie          190
J'ai longtemps hésité entre quatre et trois étoiles pour noter ce livre dont je pense globalement beaucoup de bien.
J'ai d'abord pensé qu'il méritait ses quatre étoiles pour la richesse de ses informations, l'originalité de ses questionnements et le courage dont il a fait preuve pour contredire une doxa manichéenne sur des thèmes comme l'état de la Russie de Poutine et les causes et effets de la guerre en Ukraine.
Sur la Russie d'abord. Emanuel Todd a le mérite de montrer le rétablissement de la Russie, après le désastreux effondrement qui a suivi la chute du communisme. Ce redressement s'est effectué sous la direction de Vladimir Poutine. Todd utilise des données très significatives sur l'état d'une société, comme l'évolution des taux de suicide ou de criminalité. Il souligne aussi que les sanctions occidentales, loin de mettre à genoux la Russie, l'ont amené à diversifier son économie, notamment dans le domaine agricole et à trouver des substituts à ses importations. La production de blé a plus que doublé entre 2013et 2022, passant de 37 millions de tonnes à 80. Comme l'a montré Jacques Sapir, la dépréciation du rouble a aidé le pays à se protéger de son industrie. Selon notre auteur, le « système Poutine » est stable car il est le produit de l'histoire et non l'oeuvre d'un homme.
Sur l'Ukraine Todd veut répondre à la simple question : comment une société que tout le monde constatait en décomposition a pu résister à l'offensive militaire russe ? L'effondrement de l'Ukraine était en effet bien plus accentué que celui de la Russie, avec un taux de corruption plus important, une dénatalité plus accentuée, une émigration plus forte (la population de l'Ukraine est passé de 51 millions d'habitants à 42 millions entre 1991 et 2021). Todd a le grand mérite de montrer que la fuite d'une grande partie de la population russophone après la révolution de Maidan a renforcé l'homogénéité culturelle de l'Ukraine. Mais notre auteur aime aussi les questionnements historiques. La comparaison qu'il établit entre la famine d'Irlande au milieu du XIXème sicle et l'Holodomor montre un paradoxe : alors qu'elles ont eu des effets assez semblables dans leur cruauté, elles ont été produites par des idéologies opposées : libéralisme britannique et communisme stalinien.
J'ai été tenté de baisser la note à trois étoiles par les omissions du livre : la guerre en Tchétchénie est très peu évoquée alors qu'elle a provoqué un traumatisme énorme dans la société russe. L'adhésion d'une grande majorité de Russes à la politique de Poutine s'explique par la solution politique trouvée à l'issue d'une guerre finalement victorieuse. Kadirov peut apparaître comme un bouffon aux yeux des occidentaux, il n'en reste pas moins le garant d'une Tchétchénie refusant le djihadisme qui l'avait déchirée durant dix ans.
J'avoue aussi que les explications ethnographiques formulées pour analyser les évolutions des grands pays me laissent un peu dubitatif.
Todd aurait dû aussi répondre à une question simple : quel est le rapport de force militaire entre l'Otan et la Russie ? Un excellent article du site Meta-défense permet d'y répondre en partie : si le budget militaire de la Russie qui représente 6% de son PIB est deux fois moins élevé que celui des pays européens, son industrie de défense est bien mieux préparée. Et comme le montre l'article en question, un char russe du même niveau que son concurrent européen coûte en moyenne deux fois moins cher à produire. Si l'appui américain faisait défaut, l'Europe n'aurait aucune supériorité décisive sur la Russie. Sur ce dernier point, Todd va peut-être trop loin quand il affirme que l'Otan est en train de perdre la guerre industrielle contre la Russie, en étant incapable de produire les munitions nécessaires à l'armée ukrainienne.
Tel quel le livre de Todd reste riche et passionnant, soulevant des questions qui ne sont jamais avancées par les commentateurs de LCI ou de France-info.

Commenter  J’apprécie          116
Ce livre d'Emmanuel Todd en a énervé plus d'un. Je ne fais pas partie de ceux-là. Bien que je ne sois pas d'accord avec beaucoup d'analyses de l'auteur, je lui reconnaît le grand mérite de penser et dire sans se laisser intimider par la doxa généralement partagée et propagée par les médias, selon laquelle le bien absolu se situe du côté de l'Ukraine tandis que Poutine se présente comme une réincarnation de Hitler ou de Staline. Plutôt que répéter les indignations portées par l'émotion, il vaut beaucoup mieux réfléchir calmement aux multiples aspects de cette crise géopolitique.
Avant de développer des théories qui méritent discussion, Todd nous offre une analyse profonde et détaillée du contexte géopolitique de l'Ukraine et de la Russie. Il met en relief des faits qui sont systématiquement oubliés de la plupart des commentateurs. Certes l'Ukraine a été martyrisée par Staline avec l'Holodomor, mais après la deuxième guerre mondiale, elle a été favorisée par le régime soviétique qui y a développé des industries de pointe dans le domaine aéronautique notamment.
Plus encore que la Russie l'Ukraine a raté sa sortie du communisme. Entre 1991 et 2021, sa population est passée de 52 millions d'habitants à 41, une chute de 20 % due à une fécondité très faible (1,2 contre 1,5 en Russie) et à une émigration importante vers la Russie ou vers l'Europe occidentale. Autres signes d'une certaine décomposition : outre la corruption endémique plus forte qu'en Russie, le développement quasi industriel de la GPA. Todd ne nie du reste nullement qu'il y ait une identité ukrainienne.
Todd pose une question très pertinente sur l'échec de l'Ukraine a évoluer vers une démocratie libérale. Entre 1990 et 2014 pendant que la Russie connaissait une phase de troubles très violents, suivie de la réapparition d'un état autoritaire avec Poutine, l'Ukraine restait plus calme mais sans remise en ordre des oligarques dont le poids social et politique était déterminant.
Todd montre très bien qu'il y a deux Ukraine à l'aide des cartes des élections de 2010. Une Ukraine occidentale qui vote pour le pro-occidental Porochenko et une Ukraine de l'est qui vote pour le candidat pro-russe. En Crimée c'est 90% des votants qui choisissent Ianoukovitch.
Todd multiplie ainsi les analyses pertinentes qui permettent de nuancer les prises de position. Il s'étonne à juste titre que "l'Allemagne manquât du sens de l'humour au point de prétendre, lors d'un vote au Bundestag sur la l'Holodomor, nous apprendre ce qu'était un génocide".
Il y a énormément de choses à débattre dans ce livre. Je ne suis pas Todd dans ses explications du déclin de l'Amérique qu'il impute en partie au reflux du protestantisme. Ni quand il remarque que l'élite américaine impliquée dans la guerre (comme Blinken, le secrétaire d'Etat ou Victoria Nuland la sous-secrétaire) sont souvent, d'après lui, d'origine juive soviétique. L'anthropologie est peut-être convoquée trop souvent pour appuyer des théories qui me paraissent parfois hasardeuses.
Tel quel le livre est stimulant pour la pensée et le débat.

Commenter  J’apprécie          81
La Défaite de l'Occident” d'Emmanuel Todd est une analyse provocatrice et éclairée de la géopolitique post-guerre froide. Todd tisse une narrative complexe, reliant les crises économiques et identitaires à un Occident en mutation. Son approche multidisciplinaire enrichit la compréhension des dynamiques mondiales actuelles, malgré une vision parfois sombre de l'avenir. Un livre qui stimule la réflexion sur notre époque.
Commenter  J’apprécie          60
L'approche de Todd est toujours intelligente. Il mêle ici analyse démographique et anthropologique, toujours éclairée par une perspective politico-historique. L'ouvrage livre ainsi un propos réaliste qui tranche avec les délires médiatiques contemporains. Seul bémol, sa définition de la Russie actuelle comme démocratie autoritaire et son analyse des années Trump aux USA.
Commenter  J’apprécie          00
Todd a toujours aimé provoquer, se différencier...
Son bâton de maréchal est d'avoir annoncé le premier la chute de l'URSS.
Dans ce livre, il nous explique comment la Russie est forte et l'Occident faible.
C'est franchement limite quand on voit les crimes de guerre et la façon dont Poutine traite ses opposants...
Mais, le minable Occident accorde la liberté d'expression alors Manu a le droit de dire ce qu'il veut...
Commenter  J’apprécie          01


Lecteurs (348) Voir plus



Quiz Voir plus

Retrouvez le bon adjectif dans le titre - (5 - essais )

Roland Barthes : "Fragments d'un discours **** "

amoureux
positiviste
philosophique

20 questions
853 lecteurs ont répondu
Thèmes : essai , essai de société , essai philosophique , essai documentCréer un quiz sur ce livre

{* *}