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Critique de raton-liseur


La quatrième de couverture était un peu racoleuse, non ? Promettant six morts le livre. Et c'est bien ce que l'on a avec ces trois nouvelles, qui vont en quelque sorte crescendo : elles sont de plus en plus courtes, mais elles contiennent de plus en plus de morts…
Alors certes, on en a pour son argent, on a bien les six morts promises, mais à la mode Tolstoï. J'ai décidé de ne pas les lire dans l'ordre choisi par l'éditeur, mais dans l'ordre chronologique, commençant par « Trois morts », une courte nouvelle écrite en 1859, qui dans une construction très classique, oppose la mort d'une bourgeoise qui n'a guère vécu et redoute la mort et celle d'un vieil ouvrier qui, après une vie de labeur, sait qu'il est temps de retourner à la source. C'est le Tolstoï un brin païen que l'on trouve ici, écrivant d'une plume classique et un peu convenue.
Puis vient « La Mort d'Ivan Illitch », une longue nouvelle publiée en 1856, le clou de ce livre, et pour cause. Ici, pas d'opposition, Ivan Illitch est le centre unique de cette nouvelle. Tout commence par l'annonce de sa mort dans les journaux et la réaction de ses collègues, petits fonctionnaires comme lui, et tout de suite le ton est donné. Puis dans un long retour en arrière, Tolstoï déroule toute la vie d'Ivan Illitch. Sa jeunesse, ses premières réussites professionnelles et personnelles puis, très rapidement, la découverte de sa maladie et sa longue agonie. Une agonie physique, certes, mais surtout un temps qui lui est donné pour examiner sa vie sous un jour nouveau. J'ai compati avec ce personnage qui vit la vie que la société lui a tracée, qui fait les choix que la société attend de lui, et qui pourtant s'aperçoit de la vacuité de son existence et de l'artificialité des relations qu'il a nouées avec ceux qui l'entourent, que ce soient ses collègues, ses amis et même sa famille. Difficile, malgré tout ce qui nous sépare, de ne pas réfléchir à sa propre vie et au sens qu'elle peut avoir, se demander l'intérêt de se conformer aux attentes extérieures, de jouer le rôle que l'on s'attend à nous voir jouer, ou bien faut-il ruer dans les brancards pour, à la fin, avoir la sensation d'avoir existé ?
J'extrapole peut-être un peu trop par rapport aux propos de Tolstoï et au message qu'il veut transmettre, mais probablement pas tant que cela. Cette longue nouvelle, écrite avec une plume souvent pleine d'acide (le responsable de cette édition, Dominique Fache, parle de « réalisme cruel », un terme qui me semble tout à fait adapté), est à la fois une critique sociale, comme beaucoup des oeuvres de Tolstoï, mais aussi une réflexion sur l'angoisse de la mort, qui semble n'avoir jamais quitté Tolstoï, comme une des réponses à cette terrible phrase écrite dans une lettre datant de 1860, « Quand on réfléchit que la mort est la fin de tout, il n'y a rien de pire que la vie. »
Et la troisième nouvelle de ce recueil, dans l'ordre chronologique, est célèbre elle aussi, puisqu'il s'agit de Maître et Serviteur, paru en 1895. Ici, comme dans Trois Morts, ce sont deux personnages qui s'opposent, leur classe sociale déterminant leur vision de la vie et de la mort. Une belle parabole, que j'avais bien aimée lors d'une lecture précédente, mais peut-être un peu trop manichéenne à mon goût, et qui n'a pas la force de la Mort d'Ivan Illitch.

En conclusion, voici un recueil intéressant parce qu'il permet de se rendre compte de comment Tolstoï, au cours de trente années importantes du point de vue de sa production littéraire, revisite un même thème, entre obsession personnelle et maîtrise stylistique croissante. La nouvelle-titre est celle que j'ai préférée (et ça tombe bien, c'est pour elle que j'ai entrepris cette lecture!), mais je suis bien consciente qu'il s'agit là d'une préférence toute personnelle.
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