J'ai lu ce récit de
Léon Tolstoï,
Trois morts, il y a quelques jours au moment où l'actualité évoquait le sujet de la fin de vie.
Jean-Luc Godard venait de tirer sa révérence dans ce choix qui lui appartenait. Ce n'était que pure coïncidence. Cependant...
Il m'était alors intéressant de croiser le sujet de la fin de vie qui s'invitait dans le débat public et dans nos consciences tiraillées, avec ce texte écrit en 1858 par
Léon Tolstoï, alors qu'il n'avait que trente ans. C'est ainsi et à ce moment-là que ce texte est venu me prendre par la main, me titiller, me séduire dans sa justesse et son acuité.
Ici, c'est tout le contraire, les morts en sursis, les morts en devenir, les êtres qui s'apprêtent à mourir ne le veulent surtout pas.
Cette nouvelle raconte successivement trois récits de morts. À travers ces morts,
Léon Tolstoï semble reprendre des thèmes qui lui sont chers : le mensonge face à la mort, l'hypocrisie de la vie et des vivants, ainsi que leur dureté.
Léon Tolstoï avait donc trente ans. Parler ainsi de la mort à cet âge-là, celle-ci aurait-elle donc été présente avec autant d'intensité dès sa jeunesse ? En regardant de près sa biographie, on se rend compte que la mort des siens l'a éprouvé fortement et très jeune.
La mort, - on la voit ici sous trois aspects, peut susciter toutes les nuances du sujet.
Trois morts, ou plutôt la mort qui vient, qui rôde, qui va venir, qui happe, qui emporte dans sa nasse. Lorsqu'elle advient, certains qui vont mourir se révoltent, d'autres l'acceptent par fatalité. Et puis il y a la mort qui fauche sans prévenir, injuste, ignoble.
Il y a cette femme bourgeoise, acariâtre, tyrannique, aigrie, n'en finit pas de mourir au cours d'un voyage vers l'Italie. Elle agace et empoisonne son entourage. On voudrait presque qu'elle se dépêche de mourir et qu'on en finisse... Oui, je reconnais volontiers que je souhaitais ardemment qu'elle meurt le plus vite possible, non pas pour abréger ses souffrances, mais plutôt celles de ses proches. C'est là tout le talent d'un écrivain que de savoir nous projeter vers nos instincts les plus enfouis, terrés au plus profond de nous et être capable de les remonter à la surface de l'onde.
Puis il y a ce postillon qui se meurt et qui offre ses bottes toutes neuves à celui qui saura poser une pierre sur sa future tombe. Il meurt, ses bottes lui sont aussitôt arrachées ; malgré la promesse qui lui fut faite, sa tombe demeure pour un temps un simple tas de terre informe figurant un tertre...
Et puis il y a la dernière mort, le dernier récit, celui que je préfère, cette mort insensée, injuste, ignoble. Elle est presque déjà annoncée par ce détail presque innocent :
« le bruit s'éleva derechef et se répéta à intervalles égaux ; il partait du pied d'un des arbres immobiles. Une des cimes frissonna subitement, ses feuilles gonflées de sève murmurèrent quelque chose ; une fauvette, perchée sur une des branches, siffla, voleta à deux reprises et se posa sur un autre arbre, la queue éployée. »
Un oiseau qui se déplace d'un arbre vers un autre, comme s'il savait que la mort venait, c'est peut-être cette image qu'il me faut retenir... J'aurais aimé être cet oiseau, se déplaçant d'un texte à l'autre et pourquoi pas d'un livre à l'autre...
Peut-être le suis-je quand même à ma façon...
Oui, cette troisième mort est celle d'un arbre fauché par la main de l'homme dans la force de l'âge et qui ne demandait rien à personne. Cet arbre est abattu pour le seul but de fabriquer une croix à un mort. Quelle ironie absurde !
Dans ces trois récits où le propos est traité parfois de manière poétique,
Léon Tolstoï observe le moindre détail, le moindre mouvement avec une acuité minérale.
Trois morts, trois récits, trois façons d'aborder peut-être la mort selon Tolstoï, dans une écriture d'orfèvre, ciselée à merveille...