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Critique de Laureneb


Léon Tolstoï utilise le reportage à la première personne en le mêlant à la fiction pour évoquer le siège de Sébastopol, campagne de la guerre de Crimée en 1855. Si, en France, on ne s'en souvient guère que par des noms de boulevards, en Russie, c'est un moment important de l'histoire nationale et nationaliste.
Tolstoï le dit, il n'évoque pas un homme, un officier, une bataille en particulier. "Le héros de [son] récit, c'est le Vrai" : il veut restituer une ambiance, un contexte, un cadre, y compris par la fiction. Mais cela donne une dimension d'universalité à son texte, c'est une guerre, un siège, mais cela pourraient être toutes les guerres, tous les sièges.
Cependant, il y a une forme d'exaltation patriotique. Il s'agit de montrer l'enthousiasme de soldats, leur sens du sacrifice, au nom de "l'amour de la patrie". "La Russie conservera longtemps les traces sublimes de l'épopée e Sébastopol, dont le peuple russe a été le héros". Or, j'ai lu récemment que Vladimir Poutine citait beaucoup cet ouvrage dans ses discours, il l'instrumentalise donc au service de son idéologie et de sa guerre.
Par conséquent, l'actualité récente a percuté ma lecture de ce récit du XIX ème siècle, à tel point que j'ai pu avoir des doutes sur la chronologie. L'armée impériale se bat ainsi pour Sébastopol, ville portuaire de Crimée - aujourd'hui territoire revendiqué par l'Ukraine mais sous occupation russe depuis la guerre de 2014. C'est une guerre de position, les combattants sont dans des tranchées, et subissent le feu de l'artillerie ennemie, comme pendant la Grande Guerre, comme pendant le siège de Bakhmout en cet hiver 2023. L'ennemi est indistinct, appelé d'ailleurs "lui" : c'est une menace venue de l'Occident mais qui n'a pas d'identité précise, les soldats ne distinguent que des ombres, françaises et britanniques. Or, ces Français semblent alliés aux Ottomans, ayant le même cri de guerre. Les Russes ont donc un sentiment d'encerclement, d'un conflit de valeurs - ce qui, à nouveau résonne avec notre époque.
A l'arrière, dans le premier récit en décembre 1854, la population civile la plus éloignée du front continue à vivre, avec des femmes en chapeau qui se promènent dans les rues et des officiers au café fumant et buvant. le texte oppose donc la vie quasi ordinaire de ceux de l'arrière face aux souffrances des salles d'hôpital, ou plutôt d'amputation.
Les deux autres récits se situent plus tard, et traduisent les horreurs subies par les soldats au front et les civils. Les soldats sont de la chair à canon, interchangeables, qui ne viennent que pour mourir, comme les jeunes appelés russes d'aujourd'hui. Les civils, eux, vivent sous les bombes et n'ont plus de nourriture et d'eau, souffrent du froid et de l'obscurité.
Oui, un récit assez court mais très perturbant en raison de ses liens avec notre époque.
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