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Critique de Siladola


Une position résolument exclusive, raisonnée, argumentée, et des choix qui suivent une attitude devant la vie, celle d'un artiste véritable qui n'admire pas n'importe quoi et parle en praticien. En pratiquant : art et religion sont inséparables pour Tolstoï, les arts des civilisations antérieures liés à l'état religieux particulier à chacune, et le grand vide qu'il diagnostique en cette fin du XIXème, attribuable justement au rejet du christianisme dont les fondements, oubliés à la Renaissance au profit d'un élitisme culturel, devraient au contraire permettre à l'art de relier les hommes, tous les hommes. L'essence de l'art ne réside pas en effet dans la beauté. Elle est de transmettre des sentiments que chacun est à même d'éprouver, si tous ne savent les exprimer. Des sentiments communs, donc, en vue d'une grande fraternité humaine. Léon Tolstoï moque les Décadents et Wagner, les Symbolistes : de façon générale, tout ce qui à son époque passe pour artistique et ne relève que du raffinement, de la mondanité, tout ce qui se réserve d'emblée aux riches et aux puissants, tout ce qui lui semble en définitive mercantile.
La simplicité du propos ne doit pas dissimuler la profondeur de la pensée : Qu'est-ce que l'Art ? débute par un panorama de la théorie esthétique depuis son fondateur Baumgartner (Allemagne, XVIIIème siècle) jusqu'aux contemporains de Tolstoï, Taine, Victor Cousin, en passant par les idéalistes allemands, Darwin et bien d'autres. Fondée sur une approche critique rapide mais systématique, renvoyant bien sûr aux grands philosophes de l'Antiquité, la thèse se recentre sur la religion, dominante ou rejetée, qui détermine toujours, avec ou contre elle, la culture d'une époque et d'une nation. Si le christianisme, celui des origines et non la caricature intellectuelle issue de la Renaissance, doit fournir le référent de toute création artistique future, c'est qu'il est une religion à vocation universelle et que le propre de l'art est justement d'unir tous les hommes dans la fraternité des sentiments.
Le discours s'émaille d'exemples littéraires, musicaux, Hugo, Dickens etc., et de contre-exemples : Mallarmé, Verlaine, jusqu'à Baudelaire, dont Tolstoï déplore la complaisance dans la langueur et les vains ornements ; un chapitre entier, où s'envole le génie narratif du romancier, est consacré sur un mode drolatique à une soirée Wagner à Moscou, dont il s'enfuit au deuxième acte de Siegfried.
La lecture de cet essai, auquel l'auteur a réfléchi quinze ans, régénère nos conceptions intellectualistes et communique un puissant souffle de foi en l'art au coeur de la société. On se prend à souhaiter qu'une aussi salutaire philanthropie puisse aujourd'hui balayer le landernau parisien de l'édition, la scène de l'art contemporain et, si je puis me permettre, les Jeff Kooneries de ce genre.
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