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Citations sur Voltiges (8)

À force de voir de nouvelles dévastations, chaque soir, dans les journaux télévisés où des journalistes évitaient les questions embarrassantes, ils s'y habituaient. Ils montraient leur bonne volonté en triant leurs déchets, en installant un récupérateur d'eau de pluie, en utilisant une carafe filtrante. La vérité, c'est qu'ils s'en foutaient de tout ça, ils avaient vécu, profité, ils avaient pu faire des projets, leur principal souci c'était de savoir si les progrès de la médecine leur permettraient d'exploiter correctement l'allongement de leur espérance de vie. Leur logiciel intérieur ne comportait pas l'hypothèse de l'effondrement, ou alors dans si longtemps qu'on aurait oublié leur nom -après eux, le déluge. Ce même logiciel ne leur permettait sans doute pas d'envisager que le futur de leur propre fille était gravement compromis. Ils continuaient à la contempler avec un sourire aimant, à faire preuve d'empathie, vous êtes formidables les jeunes, c'est bien de faire entendre votre voix. Quelle blague.
Lorsqu'elle y pense, elle oscille entre tristesse et désespoir. Ses parents regardent dans la même direction mais n'assistent pas au même spectacle. Ils sont les dinosaures du vingt et unième siècle, l'extinction s'approche, c'est l'humanité qui s'apprête à disparaître, et ils s'obstinent à construire des phrases qui commencent par « quand tu auras mon âge », ou « quand tu auras des enfants ». Pire : « tu verras, quand c'est toi qui régleras la facture ». Ça, c'est une obsession de son père, il faut que sa fille « gagne bien sa vie », qu'elle « se mette à l'abri », il n'a plus que ce mot à la bouche, il file la métaphore à longueur de journée, comme si l'argent pouvait la préserver du désastre. Oui, elle la réglera la facture, toute sa génération la réglera, et les plus jeunes, ceux qui naissent aujourd'hui en étant déjà condamnés, ils paieront avec les intérêts. Elle ignore combien de temps il lui reste à vivre, et si ce temps s'avère long, elle ignore de quelle manière elle y survivra. Désolée, papa, maman. Elle n'aura pas d'enfants, c'est une certitude. Elle ne misera pas toute son énergie sur des études qui seront obsolètes avant qu'elle les achève, sur une profession qui aura disparu avant qu'elle envoie son premier CV ou sera administrée par une intelligence artificielle. Elle va vivre ce qu’elle a à vivre, prendre ce qu'elle peut prendre, échapper à l'obscurité à défaut d'échapper à la fatalité, et de plus en plus vite et de plus en plus fort, son plan se résume en un mot, tumbling, parce que sur la piste et dans les airs, en quoi, huit, dix secondes, elle est propulsée dans un univers alternatif, elle éprouve l'extase absolue, la grâce ultime, tout s'annule, l'apocalypse annoncée en dix secondes en dix secondes extraterrestres, jusqu'à toucher à nouveau le sol et repartir aussitôt, et voler, encore, encore, là où rien ne peut plus l'atteindre, n'en déplaise à son père […].
(p.121)
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Elle pense à sa mère, aux mots qu'elle a employés, au tunnel qui s'allonge encore et encore à mesure que l'on y progresse. Elle a la vision subite d'une société en forme de fourmilière obscure : à chaque individu son tunnel sur mesure. Leni ne sera pas cet insecte laborieux qui exécute la tâche qu'on lui assigne, la gentille fille, la bonne élève, puis meurt sans bruit.
(p.205)
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De sa voiture, il téléphona à Nora pour la prévenir qu'il s'était passé quelque chose d'inouï, de grave, il avait un frère, ce frère que son père lui avait d'abord refusé et, pour finir, lui avait volé, ce frère dont il ne ferait plus rien désormais puisque c'était trop tard, à dix, douze ans, on peut se construire des souvenirs communs, des liens indéfectibles, on peut se défier, se défendre, s'aimer et se détester, mais là c'était foutu, ce n'était pas un frère qui surgissait, mais un étranger ou peut être un ennemi, on ne pouvait pas savoir, c'était une mine antipersonnel sur laquelle il venait d'exploser, non que cet Ernest fût coupable, il n'était coupable de rien il n'avait pas demandé à venir au monde, ni à se passer de la présence d'un père, ni même à hériter une part de sa fortune, mais sa simple existence venait de ruiner les fondations de la sienne et à présent, Eddie n'était plus sûr de rien, pas même de savoir comment respirer.
(p.19-20)
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-Elle n'a que treize ans, a rappelé Nora.
Il a semblé revenir à lui. Il s'est excusé pour sa rudesse et lui a fait un câlin mais la confiance entre eux était abîmée - du moins pour Leni. À partir de ce moment, elle a travaillé deux fois plus dur par crainte qu'il ne s’empare d’une mauvaise note pour remettre en cause le tumbling. Ses notes sont remontées au prix d'un épuisement supplémentaire mais son père n'en a rien vu : il s'est plutôt félicité de son intervention.
-Tu vois que tu pouvais faire mieux.

Jour après jour, elle a contenu l'orage qui grandissait en elle. Elle a trouvé des forces dans le regard de sa mère, dans ce léger mouvement de sourcil qui signifiait, dès que son père se montrait tendu et désagréable : ne réagis pas, laisse couler, s'il te plaît. Nora lui avait demandé solennellement de le soutenir sans réserve, de supporter ses sautes d'humeur, ses remarques, ses interrogations […].
(p.65)
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C’est ainsi que les choses sont arrivées. Par un enchaînement d’incidents mineurs et de faits majeurs, de coups portés et de blessures involontaires, de maladresses et de malentendus.
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Chaque contrariété est l’occasion de vérifier que tout est surmontable. Ce que tu ne peux contrôler, epouse-le, absorbe-le, dissous-le.
P.117.
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Désolée, papa, maman. Elle n'aura pas d'enfants, c'est une certitude. Elle ne misera pas toute son énergie sur des études qui seront obsolètes avant qu'elle les achève, sur une profession qui aura disparu avant qu'elle envoie son premier CV ou sera administrée par une intelligence artificielle. Elle va vivre ce qu'elle a à vivre, prendre ce qu'elle peut prendre, échapper à l'obscurité à défaut d'échapper à la fatalité, et de plus en plus vite et de plus en plus fort.
P.121.
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Les sensations lui reviennent, précises, identiques en leur puissance à celles expérimentées quinze ans plus tôt : le souffle aboli, l’effondrement silencieux de son être, du noyau même de ce qui le constituait.
Ce mélange massif de stupeur et de haine que seule produit la trahison.

Aujourd’hui, dans un bureau situé au seizième étage de la tour Étoile, dominant le vide avec lequel il fait soudain corps, un vide sidéral, cosmique, dans lequel il se dissout à mesure que s’enchaînent les explications embarrassées de son associé.
Hier, ou plutôt voici quinze ans, dans un salon feutré meublé d’un Chesterfield vert bouteille, d’un large bureau en acajou et de plusieurs chaises du même bois tapissées de velours doré, où il s’était rendu en compagnie de sa mère pour écouter la lecture du testament.
À l’instant où il avait poussé la porte et aperçu ce garçon élancé et barbu, nettement plus jeune que lui, il avait su. Cette implantation caractéristique des cheveux. Cette arcade sourcilière prononcée, cette peau mate, cette légère asymétrie posturale. Il s’était courbé, comme un arbre abattu sous ce coup de hache originel, le plus violent, le plus cruel qu’il recevrait jamais : un coup qui lui ôta ce qu’il conservait d’innocence et pulvérisa l’immense tristesse qu’il ressentait depuis la mort de son père.
Ainsi, il avait un frère. Du moins, une moitié de frère.
Ainsi, son père vénéré, adoré, son père décédé subitement d’une méningite à méningocoque – alors qu’il était dans une forme exceptionnelle pour ses soixante-seize ans, courant chaque matin cinq kilomètres quelle que soit la météo, se targuant d’un cœur et d’une tension de jeune homme –, avait engendré, puis soigneusement caché un autre enfant.
Pour lever toute ambiguïté, l’avocat avait pris la parole.
— Je vous présente Ernest Wilstroem, le fils cadet de feu monsieur Bauer.
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