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Critique de gabb


Il est grand, gros, cultivé mais moitié fou.
Oreilles velues, moustache humide, anneau pylorique capricieux.
Son hygiène corporelle laisse à désirer et ses goûts vestimentaires plus que douteux en font un personnage unique, reconnaissable entre mille dans ces quartiers si animés de la Nouvelle-Orléans où il se montre parfois, quand il daigne s'extraire de la petite chambre crasseuse qu'il occupe toujours chez sa pauvre maman, à 30 ans passés.
Qui donc est cet olibrius, cet individu hors-normes, ce phénomène de foire ? C'est Ignatius.
Ignatius Reilly.

A lui seul il justifie pleinement l'immense succès (posthume) de cette "Conjuration des Imbéciles" publiée en 1980 et couronnée dans la foulée du prestigieux prix Pulitzer, dix ans après que de nombreuses déconvenues et refus d'éditeurs eurent conduit John Kennedy Toole dans l'impasse de la dépression et du suicide*.
Triste histoire.
Qu'on se rassure pourtant : par son ton décalé et irrévérencieux, la truculence de ses dialogues, ou encore la loufoquerie des personnages et des situations, son roman est loin d'être aussi déprimant ! Il pourrait même ravir les amateurs d'humour noir et de portraits croquignolesques, et ce provocateur odieux, grotesque et prétentieux, mythomane et paranoïaque, ce héros rongé d'insurmontables problèmes gastro-intestinaux, cet être de démesure et de nihilisme assumé risque bien de transformer leur lecture en expérience inoubliable !

L'écrivain Walker Percy, qui signe la superbe préface et qui, par son enthousiasme et sa persévérance, a largement contribué à la publication tardive de l'oeuvre, fut le premier à voir en Ignatius Reilly "un personnage sans précédent dans la littérature", un "Oliver Hardy délirant, un Don Quichotte adipeux, un saint Thomas d'Aquin pervers, tout cela en un seul homme, en violente révolte contre le monde moderne tout entier".
Il s'étonne d'ailleurs un peu plus loin de la quasi-fascination que cet "intellectuel, idéologue, tapeur, esbroufeur, goinfre" est susceptible de provoquer, lui "qui devrait inspirer de la répulsion au lecteur avec ses boursouflures gargantuesques, son mépris menaçant et son combat solitaire contre tous et tout".
Je ne suis pas loin de partager cet avis.

Alors c'est vrai, le texte a quelque peu vieilli, et les propos que l'auteur prête à son narrateur dans ses diatribes envers les femmes, les Noirs ou les homosexuels sont (heureusement !) d'un autre âge.
Néanmoins ce roman aux allures de grande farce potentiellement dérangeante n'a rien perdu de son piquant et de son impertinence !
J'ai ainsi pris beaucoup de plaisir à suivre les tribulations du fantasque Ignatius Reilly. Successivement glandeur invétéré, écrivain-philosophe incompris mais persuadé de léguer au monde une oeuvre majeure qui rétablirait la juste "géométrie" (?) du monde, employé séditieux d'une fabrique de pantalons et vendeur de hot-dogs ambulant pestant contre "Dame Fortune", il est en réalité incapable de garder un emploi plus de quelques jours sans déclencher par ses frasques et ses théories sociales fumeuses des réactions en chaine catastrophiques aux effets comiques garantis.
Et derrière lui, les personnages secondaires ne sont pas en reste !

Ses collègues et patrons, sa vieille voisine et sa mère complètement dépassée, le policier Mancuso à ses basques, l'exubérante Myrna Minkoff aux penchants nymphomaniaques qu'il fréquenta jadis, qu'il exècre aujourd'hui mais avec qui il continue d'entretenir une correspondance pour le moins ambigüe : toutes et tous semblent atteints à des degrés divers d'une même folie contagieuse.
Ensemble ils offrent l'assurance d'une lecture délirante, inclassable et pleine d'outrance.
Un vrai régal !


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* ce qui fait dire avec justesse à la journaliste Raphaëlle Leyris : "on ne peut pas lire ce livre, l'un des plus drôles de l'histoire littéraire américaine, sans pleurer intérieurement tous ceux que Toole n'a pas écrits".
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