Au dessus de l'entrée de notre cinéma de quartier, on peut lire en permanence: "Ici, le bonheur ne coûte pas cher". Et il est vrai que je suis heureux au cinéma, même si le film est mauvais. Beaucoup de gens, je l'ai lu quelque part, passent leur vie à chérir les moments inoubliables de leur passé: la découverte du Parthénon à l'aube, la rencontre, une nuit d'été dans Central Park, d'une belle fille solitaire avec laquelle on saura établir des rapports tendres et naturels, pour parler comme les livres. Moi aussi un soir j'ai rencontré une fille dans Central Park, mais je n'en conserve pas un très grand souvenir. Ce dont je me souviens par contre, c'est du moment où, dans La Chevauchée fantastique, John Wayne tue trois hommes avec sa carabine, tout en se jetant sur le sol dans la rue poussiéreuse, et de celui où, dans Le Troisième Homme, le petit chat découvre Orson Welles dans l'embrasure d'une porte.
Il y avait le chat. Allongé là, dans le soleil, ses besoins satisfaits. Pour lui, tous les endroits se valaient, du moment qu'il y avait du soleil - pour lui, point de sottises sur des vieux coins hantés, couverts d'herbes folles quelque part au Mississippi, ou sur une vie toute neuve dans un endroit tout neuf de Caroline - le chat était exactement cent pour cent chat, ni plus ni moins. Tandis que Will Barrett, tandis que les gens aujourd'hui... Jamais ils n'étaient cent pour cent eux-mêmes. Ils occupaient un espace, non sans peine et avec plus ou moins d' insuccès. Au mieux, ils étaient eux-mêmes à quarante-sept pour cent - ou très rarement, dans le cas d'Einstein dans le tramway, à trois cents pour cent. Comment la grande aspiration de soi peut-elle espérer jamais être un chat dodu somnolant au soleil ?
Quelquefois, je suis frappé par le fait que, quand ma mère mentionne Dieu, elle se sert de lui, ni plus ni moins, comme de l'un des expédients dont on peut, dans le monde révoltant des hommes, se servir, avec tout le reste, pour accomplir la seule tâche qui lui semble utile : la maîtrise circonspecte des secousses de le vie. C'est un marché qu'elle a passé, au tout début, en acceptant un amoindrissement général des choses, des bonnes comme des mauvaises. De la même façon, elle se méfie de la bonne fortune et dresse des murs contre la mauvaise et il me semble parfois l'entrevoir dans ses yeux, cette radicale défiance : la vielle lueur du savoir, aussi vieille et rusée qu'Eve elle-même.
Nous nous serrons la main et nous nous quittons bons copains.
Mais bons copains ou pas, il faut absolument que je sorte le plus vite possible. A dire vrai, trop de camaraderie me rend nerveux. Une minute de plus et la salle de bal elle-même va se charger de malaise. Déjà le poêle de cellophane a des lueurs de mauvais augure.
Depuis mercredi j'ai conscience de la présence des juifs.Comment je m'en suis rendu compte?Parce que dès que je m'approche d'un juif,mon compteur Geiger se met à crépiter comme une mitrailleuse (...) A l'époque où j'avais des amis, ma tante Edna,,qui s'intéresse à la théosophie avait noté qu'il étaient tous juifs.Elle savait même pourquoi: Dans une vie antérieure j'avais moi-même été juif.En tout cas il est vrai que je suis juif par instinct,nous partageons le même exil.Le fait est pourtant que je suis plus juif que les juifs,Ils se sentent plus chez eux que moi. Autre preuve de ma judéité: l'autre jour un sociologue a révélé dans un rapport que,dans une proportion remaquablement élevée les gens qui vont au cinéma sont des juifs.
Les juifs sont mon premier indice sérieux.
Mon oncle Jules est le seul homme que je connaisse dont la victoire sur le monde soit totale et sans réserve.Il a gagné énormément d'argent,il a beaucoup d'amis,il a été roi du mardi gras.Il est généreux de son temps et son argent.C'est un catholique exemplaire,mais on a du mal à comprendre pourquoi il se donne autant de peine:La cité des hommes est si agréable que la cité de Dieu n'a pas beaucoup à lui offrir.A regarder le monde avec ses yeux,je comprends pourquoi il l'aime et veut le garder tel qu'il est :Un lieu d'amitié (...)Où le charme du vieux monde s'allie aux nouvelles méthodes commerciales,où de braves blancs et de joyeux moricauds se traitent avec affabilitéJamais une ombre ne passe sur son visage à moins que l'on évoque le match Tulane-LSU de l'an dernier.
Je vide d'un trait mon Tang - vodka aux œufs de cane additionné de Tabasco. Je me sens déjà requinqué.
Si je l'aimais ? Je ne suis pas sûr de comprendre ce que veulent dire les mots, mais je l'aimais, si l'aimer c'était la désirer à chaque minute, chaque seconde, désirer ne fût-ce que poser mes yeux sur elle, à en perdre le souffle dès que qu'elle s'éloignait de moi, à en avoir le cœur en fête dès qu'elle réapparaissait à l'horizon comme, de retour au pays, l'exilé retrouvant le bonheur des siens.
C'était un abruti mais il avait de la grâce. C'était un espace vide empli par la vision d'un autre. Un bon acteur.
Ne sois pas en colère contre père et mère. Ils t'aiment autant qu'ils comprennent l'amour, autant que la plupart des gens.