AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Malaura


Lire les « Contrerimes » de Paul-Jean Toulet (1867-1920) c'est comme avoir un petit être palpitant de vie entre les mains, une petite chose gracieuse et fragile comme un moineau au doux plumage, tremblant, délicat, dont on sentirait battre le minuscule coeur au gré des rimes et des quatrains.
D'abord l'on pense simplement que « c'est joli » mais imperceptiblement, en tendant l'oreille pour écouter plus attentivement la musicalité des mots qui s'unissent entre eux comme des notes sur une portée, l'on se dit qu'il y a, dans l'apparente simplicité de cette poésie au parfum suave de roses, d'amour, de femmes, de jardins et d'oiseaux, quelque chose de beaucoup plus que de « jolie ». L'on se surprend à se dire doucement « que c'est beau », et l'on en vient à être saisi d'admiration devant la finesse de certains vers, dont la grâce limpide et désinvolte, comme une laque de Chine, trouble les sens et fait l'effet d'une douce caresse empreinte de mélancolie.
« C'est à voix basse qu'on enchante / Sous la cendre d'hiver / Ce coeur, pareil au feu couvert, / Qui se consume et chante. »

Cependant, aussi facétieux et joyeux que l'est l'oiseau lorsqu'il pépie avec entrain dans les ramures, les vers de Paul-Jean Toulet s'agrémentent très souvent d'un esprit moqueur et ironique reflétant son propre rapport à l'existence ainsi que la représentation de ce que fut sa vie, follement dissolue.
« -Minuit ! Trouverai-je une auto, / Par ce temps ? Et le pire, / C'est mon mari. Que va-t-il dire, / Lui qui rentre si tôt ? »

Né dans le Béarn en 1867 puis installé à Paris, l'artiste mena une vie parisienne libertine entre cabarets, beuveries, consommation de drogue et filles de joie, qu'il exprime alors dans des poèmes d'une élégante ironie et d'une amertume languide et détachée.
« Brouillard de l'opium tout trempé d'indolence, / Robe d'or suspendue aux jardins du silence. »

Entre joie et tristesse, entre plaisir et désillusion, entre l'éclat blanc de la lune et la lumière aveuglante du soleil, le lecteur s'abreuve ainsi à une poésie tout à fait personnelle et intime, autobiographique, dans laquelle l'artiste se livre tout entier mais en conservant toujours une pudeur et une distance désenchantées, nimbées d'une frivolité factice qui est comme l'empreinte d'une secrète blessure.
« Tout bas, comme d'un flanc qui saigne, / Il s'est mis à pleuvoir. »

C'est cela aussi qui est touchant dans la poésie de Toulet, cette fausse insouciance, cette futilité qui, une fois qu'est tombé le masque, révèle quelque chose de beaucoup plus profond qu'il n'y paraît au premier abord, quelque chose de l'ordre du spleen baudelairien.
« Trottoir de l'Élysée-Palace / Dans la nuit en velours / Où nos coeurs nous semblaient si lourds / Et notre chair si lasse. »

Par ailleurs, l'utilisation du quatrain dans une forme souvent très courte, associée à la construction de rimes embrassées et croisées baptisées par le poète « contrerimes » comme le recueil éponyme, éveillent un sentiment d'éphémère, de fragilité, de fugacité des êtres et des choses : le temps qui passe, l'amour qui s'enfuit, la vie si vite consumée…
« Ce bruit voluptueux d'un orme qui s'égoutte : / Tel est le pleur furtif d'un plaisir effacé.»

Avec la magnifique brièveté de rimes allusives, elliptiques, le poète appréhende l'immédiateté du moment présent, saisissant les êtres et les choses avec la fulgurance d'un instantané. Au gré d'une poésie veloutée, vaporeuse, il évoque pareillement son ressenti et son vécu en en soulignant le caractère évanescent, un peu comme le fait la poésie japonaise avec les haïkus. Cet aspect éthéré, aussi immatériel que lumineux et teinté d'une coloration japonisante, font tout l'attrait et la beauté d'un grand nombre de ces contrerimes qui resplendissent d'un éclat bref comme les gemmes d'un diamantaire.
« Une lueur tranchante et mince / Échancre mon plafond, / Très loin, sur le pavé profond, / J'entends un seau qui grince… »

Publiées à titre posthume en 1921, peu après la mort du poète, " Les Contrerimes " se divisent en Chansons, Dizains et Coples (pièces courtes de deux à quatre vers).
Si tout n'est pas d'une égale émotion dans ce recueil, sa lecture offre des moments de grâce pure, notamment lorsque le poète nous peint, avec un art de l'esquisse admirable, les décors naturels, les quatre éléments et les quatre saisons, les lieux de résidence et les pays visités, d'Alger aux Pyrénées, telle cette céleste représentation de l'Ile Maurice où il vécut un temps :
« Jardin qu'un dieu sans doute a posé sur les eaux, / Maurice, où la mer chante, et dorment les oiseaux. »

Artiste sensuel, sensible et plein d'aisance, l'on comprend mieux pourquoi il fut le chef de file des jeunes poètes de « l'Ecole fantaisiste » du début du siècle, et pourquoi nombre d'hommes de lettres de Borges à D Ormesson ont fait en sorte de pérenniser son oeuvre au fil du temps.
Commenter  J’apprécie          420



Ont apprécié cette critique (29)voir plus




{* *}