- Comme un rêve, répéta Vérétieff, dont les pâles joues rougirent ; non, pour moi ce ne fut pas un rêve. C’était le temps de la jeunesse, de la gaieté, du bonheur ; c’était le temps des espérances infinies et des forces indomptables. Si ce fut un rêve, il était bien beau. Mais que nous soyons tous deux devenus vieux, tristes, bêtes ; que nous teignions nos moustaches ; que nous nous traînions à flâner sur les trottoirs de la Perspective ; que nous ne soyons plus bons à rien, comme des chevaux fourbus ; que nous soyons usés, pelés, éreintés ; que, d’entre nous, les uns fassent les importants ridicules, tandis que les autres se vautrent dans la fainéantise, en noyant leurs chagrins par le gosier : voilà ce qui est un rêve, un rêve hideux, abominable. La vie est passée sans laisser de traces, platement, bêtement. Voilà ce qui est amer, voilà ce qu’il faudrait pouvoir chasser comme un rêve.
"C'est moi qui suis ton esclave, moi qui suis aux pieds de mon seigneur; tu es mon seigneur, ma déesse; tu es ma Junon aux yeux de génisse, ma Medée la magicienne..."