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Critique de Simonbothorel


Michel Tournier réadapte le célèbre livre de Daniel Defoe et son Robinson Crusoé, après une version plus longue qu'il avait écrite en 1967. L'écrivain insiste sur le fait que cette histoire n'est pas la version jeunesse de son précédent roman et qu'elle est ouverte pour tout le monde. En effet, le livre est passionnant et met au centre de son sujet : Vendredi. Mais toute la première partie se concentre sur le naufrage bien connu de Robinson et résume de manière limpide sa façon de survivre comme les premiers hommes, de construire son foyer et sa propre cultivation sur l'île qu'il nomme Speranza. le roman commence à devenir réellement intéressant, après sa rencontre avec Vendredi, qu'il sauve des mains de plusieurs Indiens voulant sa peau. Comme le veut le récit original, Vendredi se soumet aux ordres de Robinson et devient un serviteur attachant que l'Anglais éduque. La relation maître-esclave n'est jamais protesté ou interrogé par Defoe, et reste la même tout au long de la narration, car pour l'écrivain, c'est Robinson qui détient la vérité de par sa nationalité, sa religion et sa culture.

L'auteur français réinvite le mythe, il inverse les rôles en donnant une place essentielle à l'Indien. Progressivement, c'est Vendredi qui apprend sa culture à Robinson (à travers sa poésie, sa joie, sa créativité, sa légèreté, ses moeurs…), et ce dernier s'adapte, car ses coutumes européennes et chrétiennes le submerge profondément et l'ennuie par la suite. Vendredi est plus libre, plus souple, moins hiérarchique et dans une organisation étouffante. Il renverse les valeurs occidentales, le mode autoritaire et contraignant ainsi que le travail acharné que Robinson imposait pour mettre en place son morceau de civilisation. Avant de le rencontrer, Robinson souffrait de sa solitude et Tournier appuie sur ce thème (toutes les "évasions" dans la grotte le tiraillant entre se laisser aller ou continuer à travailler pour ne pas se morfondre) mais grâce à Tenn (un chien rescapé du « Virginie »), il retrouve le sourire et grâce à Vendredi, il apprend à rire et vivre réellement. L'Indien devient un éducateur de bonheur et de plaisir pour Robinson, ils deviennent des frères qui se mettent en osmose avec une nature panthéiste.

Dans une sobre écriture, Tournier fait de son oeuvre une robinsonnade d'apprentissage. Il donne un côté solaire et paradisiaque à cette nouvelle vie sauvage. L'auteur met en avant la mélodie de cette île que Robinson veut contrôler en devenant le propriétaire avant de s'abandonner à la paix et à l'harmonie de cette nature sauvage. L'oeuvre suscite le rêve en donnant une dimension pittoresque, et les illustrations de Jean-Claude Götting (de l'édition Folio Jeunesse) apportent sa pierre à l'édifice dans cette vague d'évasion. Il ne veut plus quitter l'île, contrairement à Vendredi, qui se laisse porter par la venue d'un bateau occidentale mais il ne sait qu'il deviendra un esclave. Désespéré par ce départ, Robinson trouve un petit mousse provenant du « Whitebird » et que l'homme adopte en l'appelant « Dimanche » (Toute la symbolique avec cette journée est claire : repos, prendre son temps, profiter, faire des choses qui nous plaît…). Certes, Vendredi n'est plus là (et va subir le choc esclavagiste et sera privé de sa liberté qu'il aime tant) mais il a laissé la promesse d'un bonheur à un occidental qui a su se détacher de sa civilisation pour s'adapter à une nouvelle vie. Ainsi, l'écrivain français ne retourne pas totalement la situation, car il reste attaché à Robinson et à sa métamorphose. Tournier invite à la pureté, à s'éloigner de notre ethnocentrisme pour mieux adopter une culture plus « sauvage » souvent méprisée et oppose un choc des cultures intelligent, sans jamais rentrer dans le pamphlet ou un discours agressif sur les groupes représentés. C'est pour cela que Vendredi ou la Vie sauvage se laisse lire comme une caresse bienveillante par une nature luxuriante, une fuite méditative sous le soleil et le sable chaud, et un songe bercé par les vagues du Pacifique.
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