Un texte bien rythmé
D'une trame très simple,
Libérez l'ours en vous n'est pas pour autant ennuyant. On connaît la fin, mais on la savoure lentement. Au fil des pages, on voit se dérouler l'action en profitant de l'instant présent. On vit les événements, on y assiste d'une certaine manière comme à une pièce de théâtre. On rit aux remarques osées de Kolia, on a envie d'encourager Lisa à poursuivre son rêve, on a envie d'être dans cette salle avec eux pendant les répétitions.
Ce qui est génial aussi c'est qu'il n'y a pas de lenteur dans le récit. le texte mêle l'histoire des personnages à celle de la pièce de théâtre. Cette dernière relance le rythme et crée un effet miroir bienvenu. On a envie de savoir ce qui va arriver dans la pièce et aux personnages. À chaque fois que l'on passe de l'un à l'autre, pleins de choses arrivent. Ce n'est pas pour autant une explosion d'actions, mais quelque chose de plus lent, presque plus élégant. On nous amène doucement, grâce aux descriptions, au noeud du chapitre et, quand celui-ci arrive, on ne peut rien faire d'autre que de le savourer.
Petite parenthèse sur le côté romance, très en retrait d'ailleurs. Je n'en parlerais pas comme un coup de foudre ni d'une histoire guimauve – cul-cul, cul-cul la praline, gnangnan, à l'eau de rose. Elle se mêle au reste par petite touche. On voit les personnages apprendre à se connaître par petite touche, apprécier les différentes facettes de leur personnalité. Lentement mais sûrement, une tension s'installe entre eux. Peut-être cela est dû à mon registre de base pour mes lectures, la fantasy ne se prêtant pas forcément à la romance la plus réaliste, mais j'ai trouvé très doux comme relation. Rien qui s'apparente à une attirance physique, autant dans l'esthétique des personnes que d'une sorte de magnétisme entre les corps, rien qui se déroule par petits épisodes pendant une quête épique, juste quelques discussions anodines en bons amis. Simple et une vraie guimauve dans le bon sens du terme.
Des personnages de théâtre
Kolia, Lisa et les autres sont des adolescents qui participent tous au club de théâtre et entretiennent avec ce dernier un lien particulier. Je comprends parfaitement que l'on ne s'attache pas d'emblée à eux à cause de cet attachement très fort à cette discipline. On pourrait les penser superficiels, égoïstes parfois, qu'ils se lamentent sur leur propre sort en faisant des tonnes et font souffrir leur entourage. Mais ce n'est pas ainsi que je les ai vus. J'ai suivi un Kolia mal dans sa peau,
qui en veut à son père de l'avoir éloigné par la force de sa grand-mère , un Kolia qui ne souhaite pas que les autres le voient malheureux, un Kolia qui se raccroche désespérément au théâtre pour échapper à tout ces fardeaux qu'il a lui-même endossés pour éviter la moindre vraie confrontation avec les autres. J'ai suivi une Lisa qui doute d'elle-même, qui se compare sans arrêt aux autres, qui désespère d'avoir un peu d'attention de ses parents, qu'ils considèrent un peu son rêve et qu'ils l'aident, elle, plutôt que toujours leurs patients. Alors non, ces personnages n'ont rien de superficiels à mes yeux. Ils sont peut-être un peu égoïstes, mais c'est parce qu'ils se sont persuadés eux-mêmes que les choses doivent être ainsi.
Kolia ne demande pas à son père pourquoi il l'a éloigné de sa grand-mère, car il n'y a pour lui aucune justification à ce geste ; Lisa n'insiste pas pour avoir l'attention de ses parents – ils ne prennent pas en compte la comédie – parce qu'elle pense qu'elle ne pourra pas les faire changer de point de vue sur le théâtre : elle a beau leur répéter que c'est ce qu'elle veut faire, ils n'entendent rien. Elle ne s'engage pas avec eux dans une grande discussion à ce sujet.
Je trouve ces personnages vraiment attachants. Certes, au début, j'ai eu un peu de mal à démarrer ce livre, mais je l'ai dévoré jusqu'à la fin. Si cette dernière est archi-prévisible, je ne l'ai pas pour autant pas du tout apprécier. Il y a comme une certaine joie à voir le club se donner à fond dans le dernier sprint, à dépasser leur peur, à se débarrasser de leur fardeau. D'autant plus quand ils font fi de certains obstacles, comme Christophe par exemple.
J'ai aussi vu que le club de théâtre exagérait quand il disait de leur prof remplaçant qu'il était un « connard ». Soyons clair là-dessus : tout le monde n'accepte pas la critique facilement, d'autant plus quand tu as l'habitude de jouer comme cela te vient et que l'on vient te recadrer toutes les trente secondes. Cela partait d'une bonne volonté, mais les adolescents n'en sont pas pour autant convaincus. S'ils font partie du club, c'est par plaisir. Si ce dernier s'envole à cause du comportement du prof trop militaire, il est normal qu'ils lui en veulent. Surtout, et cela n'est que mon avis, ils sont vexés que Christophe ne leur fasse pas assez confiance, qu'il croit qu'il faille absolument les tenir en laisse pour avancer. Sincèrement, qui peut apprécier un enseignant incapable de laisser un peu d'air à leurs élèves ? Et avant toute réponse, je parle bien de discipline aussi libre que le théâtre : s'il y a des bouffons, des vrais, en cours, c'est normal qu'on les recadre.
Le mot de la fin
«
Libérez l'ours en vous » est vraiment un livre coup de coeur. Je dois bien l'avouer : le début a été un peu difficile, mais je n'ai pas réussi à le lâcher à la fin ! Il y a une certaine sensibilité derrière les personnages qui m'a particulièrement touchée et dans laquelle je me suis reconnue. C'est peut-être d'ailleurs le seul défaut que je donnerais à cette lecture : on aime ou on n'aime pas les personnages. Il me semble difficile de l'apprécier sans d'abord avoir un affect positif pour ses derniers, puisque l'histoire en elle-même n'est que le background de ce qui est vraiment important ici : les relations que l'on entretient avec ses proches et, entre autre, le refuge que peut devenir l'Art. Voilà un petit avertissement, mais je pense que le jeu en vaux la chandelle de se lancer dans cette aventure !