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Citations sur Memorial Drive (51)

Contrairement à mon père qui avait grandi petit garçon blanc dans la campagne de Nouvelle-Écosse au Canada où il pouvait chasser et pêcher, explorer la forêt comme il le voulait, ma mère était née petite fille noire dans le Sud profond, entravée, liée à un monde circonscrit par les lois Jim Crow. Même si mon père défendait l’idée qu’il fallait vivre dangereusement, qu’il était nécessaire de prendre des risques, ma mère avait été témoin de la nécessité de la dissimulation, de l’art de transformer son visage en un masque indéchiffrable face aux Blancs qui attendaient des Noirs une déférence servile. L’été de ses onze ans, en 1955, elle avait vu ce qu’il en coûtait pour un enfant noir du Mississippi qui ne s’était pas comporté comme il aurait dû, qui était sorti des limites de la proscription raciale : dans l’exemplaire du magazine Jet de ma grand-mère, les restes réduits en bouillie d’Emmett Till, son visage massacré.
Même si ma mère avait voulu faire abstraction de la violence raciale et de l’agitation grandissante autour d’elle, ma grand-mère l’en aurait dissuadée. À la maison, chaque nouveau numéro de Jet se retrouvait sur la table basse à côté d’un livre de photos documentaires consacré au mouvement des droits civiques allant des lynchages aux manifestations pacifiques en passant par les visages d’Afro-Américains en résistance – des rappels constants qu’il fallait se battre pour obtenir justice dans un État où les rappels extérieurs étaient de plus en plus incontournables. Un an avant que ma mère ne rencontre mon père, l’activiste des droits civiques Medgar Evers a été abattu devant chez lui, à Jackson. Cette même année, 1963, ma grand-mère a rejoint un groupe de citoyens noirs à l’occasion d’une des « promenades de Biloxi » pour manifester contre l’interdiction qui leur était faite d’accéder aux plages publiques. Pleurant la disparition d’Evers, les manifestants ont planté des centaines de drapeaux noirs dans le sable – une image que ma mère, qui observait depuis la digue, n’oublierait jamais. Elle n’oublierait pas non plus ce qui est arrivé aux trois activistes du Freedom Summer, une action visant à faire inscrire les Noirs du Mississippi sur les listes électorales. James Chaney, Andrew Goodman et Michael Schwerner ont été enlevés et assassinés en juin 1964, leurs corps retrouvés deux mois plus tard enterrés au bord d’un chemin, dans le comté de Neshoba.
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A l'exterieur, seule avec l'un ou l'autre, un profond sentiment de dislocation s'emparait de moi. Si j'étais avec mon père, je mesurais les réactions polies des Blancs, la façon dont ils s'adressaient à lui en l'appelant "monsieur", alors qu'ils appelaient ma mère " ma fille", jamais "mademoiselle" ou "madame".
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Quand j'ai quitté Atlanta en me faisant le serment de ne jamais y revenir, j'ai emporté ce que j'avais cultivé durant toutes ces années : l'évitement muet de mon passé, le silence et l'amnésie choisie, enfouis comme une racine au plus profond de moi.
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Comment pouvais-je croire que mon passé ne reviendrait pas me hanter sous toutes sortes de formes ? Que je pourrais me déplacer dans ces lieux incognito ?
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Je sais que j'ai dû avoir l'air en état de choc quand il m'a vue, mais il a visiblement décelé autre chose dans mon expression. Et à présent, je le vois aussi. Durant toutes ces années où j'avais cru fuir mon passé, j'avais cheminé inlassablement pour le retrouver.
page 208.
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Elle savait aussi qu'en tant qu'enfant métisse - à mi chemin entre eux deux -, je serai au bout du compte seule dans ce voyage pour comprendre qui j'étais, quelle était ma place dans le monde, tout en portant les fardeaux invisibles de l'histoire, à cheval sur la métaphore. Elle savait aussi qu'on se servirait du langage pour me nommer donc tenter de me limiter - bâtarde, mulâtresse, métisse, négresse - et que, comme avec la mule, cela m'entraverait et m'éperonnerait. Ma mère voulait juste que cela ne me détruise pas.(p52)
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Puisque personne ne veut entre ses avertissements, peut-être se dit-elle que son silence pourra empêcher le destin de s'accomplir. Mieux vaut garder certaines choses pour elle plutôt que d'appeler la catastrophe en parlant. (p81-82)
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J’ai mis leurs mains côte-à-côte et j’ai demandé pourquoi ils n’étaient pas de la même couleur, pourquoi je ne correspondais à aucun d’eux. « Qu’étais-je » « Tu as le meilleur des deux mondes », m’ont ils répondu, une réponse que j’avais déjà entendue.
À l’extérieur, seule avec l’un ou l’autre, un profond sentiment de dislocation s’emparait de moi. Si j’étais avec mon père, je mesurais les réactions polies des Blancs, la façon dont ils s’adressaient à lui en l’appelant « monsieur » alors qu’ils appelaient ma mère « ma fille », jamais « mademoiselle » ni « madame » comme la politesse l’exigeait, comme on me l’avait appris. Le traitement que je recevais variait tellement selon que je me trouvais avec ma mère ou mon père que je n’étais pas sûre de savoir à qui ou à quel lieu j’appartenais.
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Le fardeau porté par Cassandre peut être envisagé sous un autre angle. Puisque personne ne veut entendre ses avertissements, peut-être se dit-elle que son silence pourra empêcher le destin de s'accomplir. Mieux vaut garder certaines choses pour elle que d'appeler la catastrophe en parlant. Je n'ai jamais raconté ces après-midi avec Big Joe à ma mère , ne lui ai jamais dit que j'avais peur de qu'il pourrait faire un jour.
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Pendant longtemps, j'ai essayé d'oublier autant que possible ce qui s'est passé pendant ces douze années, entre 1973 et 1985. Je voulais bannir cette partie de mon passé, un acte d'autocréation par lequel je chercherais à n'être constituée que de ce que je décidais de me souvenir. J'ai choisi d'inscrire le mot fin sur l'année qui a suivi notre départ du Mississippi, et le mot début après le moment de la perte - la mort de ma mère.
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Voilà comment le photographe l’a portraiturée : sa robe est aussi noire que la toile derrière elle si bien que, à l’exception de son visage, tout son corps fait partie de cette obscurité dont elle émerge comme des profondeurs de la mémoire.
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