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Critique de MatCauthon49


Troisième livre d'Olivier Truc après L'imposteur (une biographie) et le dernier lapon (premier roman ayant reçu une excellente critique), le détroit du loup fait suite au Dernier lapon. On y retrouve les membres de la police des rennes Nina Nansen et Klemet Nango. Il s'est agi pour moi de ma première lecture d'Olivier Truc. Je pense qu'il vaut mieux avoir lu le dernier lapon avant de lire ce roman, car il est parfois fait référence à des éléments de l'enquête précédente.
Ce dernier roman, venons-y, à présent. L'histoire commence ainsi : Erik Steggo, éleveur de rennes près d'Hammerfest, au-delà du cercle polaire arctique, en Norvège, meurt accidentellement dans le détroit du loup (qui sépare le continent de l'île de la Baleine où se trouve Hammerfest), par noyade, alors qu'avec plusieurs de ses collègues éleveurs, il tentait de faire passer les rennes sur l'île lors de la transhumance de printemps. Nina et Klemet, de la police des rennes (une police chargée de veiller au bon déroulement des transhumances, et d'éviter les conflits entre les éleveurs de rennes et le reste de la population – il faut dire que les rennes ont une fâcheuse tendance à investir la ville d'Hammerfest, au grand désarroi du maire Lars Fjordsen), enquêtent donc sur cet accident, qui semble peut-être n'en être finalement pas vraiment un… Surtout que quelques jours plus tard, c'est le maire lui-même qui est victime d'un accident et meurt en chutant d'une falaise…
Le récit est assez lent à se mettre en place. L'auteur, plutôt que de débuter avec force violence et tueries (quoique qu'Erik Steggo meure dès le premier chapitre), préfère présenter doucement le décor et les personnages de son roman. le décor, tout d'abord : c'est pour moi la force de ce roman. J'ai beaucoup aimé découvrir Hammerfest et la Laponie, de façon plus générale. J'ai pris plaisir à regarder des images de la ville et de la région sur internet pendant ma lecture. Ces régions qui m'étaient inconnues me sont devenues assez familières, grâce à une réelle immersion que l'auteur nous propose. Il connaît bien Hammerfest, qu'il décrit précisément (images, odeurs). de même, les paysages de la toundra sont bien rendus (on sent que l'auteur est journaliste). L'auteur aime le grand nord, il nous fait découvrir les traditions sami (que je ne connaissais pas du tout). On découvre aussi tout l'aspect plus moderne de ses espaces, avec la production de pétrole offshore et sur l'île de Melkoya. Bref, un décor vraiment dépaysant, ce qui pour moi est un atout majeur dans un roman. Les personnages, maintenant. Olivier Truc nous en dresse toute une galerie variée. Parmi les membres de la police des rennes, j'ai beaucoup aimé Nina Nansen. Elle est assez récente à Skaidi (QG de la police des rennes), elle a fini ses études il y a peu. Elle est du sud de la Norvège, mais comme beaucoup, elle doit commencer par le grand nord (place peu convoitée du fait des conditions extrêmes), mais s'acclimate bien à la population (mais pas du tout aux longues journées de jour, extrêmement fatigantes). Elle n'a peur de rien, sauf peut-être des souvenirs de son enfance. J'ai beaucoup aimé les passages où elle retrouve sa mère (une vraie pimbêche) et surtout son père (passages très émouvants), un ancien plongeur, archétype du mec traumatisé par la plongée extrême des années 1970. Klemet, lui, est tout aussi intéressant : d'origine sami, sa famille a dû quitter l'élevage de rennes (trop difficile), ce que Klemet a du mal à assumer. Souvent de mauvaise humeur, bourru parfois, il n'en demeure pas moins très attachant. Leur chef est Ellen Hansen, qu'on voit assez peu. Parmi les personnages on retrouve, forcément, plusieurs éleveurs de rennes : Erik Steggo et sa veuve Anneli Steggo (on sent que c'est un personnage que l'auteur veut attachant, il lui arrive de nombreuses mauvaises choses, mais personnellement les passages où elle apparaît m'ont un peu ennuyé. Dommage pour moi) ; Juva Sikku, ami d'enfance d'Erik Steggo et de Nils Sormi. Lui a choisi une voie différente des autres éleveurs : sur les conseils de Tikkanen, il envisage de lâcher l'élevage traditionnel pour élever ses rennes en ferme. Juva Sikku n'est pas bête, mais n'est pas non plus le plus intelligent du monde. On sent qu'il aurait aimé se faire apprécier de Nils. Parmi les éleveurs, on a aussi Anta Laula, ancien éleveur, qui est devenu plongeur (amateur, grand mal lui fasse), dans les années 1980, ce qui l'a détruit. Venons-en aux plongeurs. Parmi eux, on a Nils Sormi, personnage central du récit avec Nina et Klemet. Arrogant, beau gosse à qui tout réussit, il renie son héritage sami pour se remplir les poches de l'argent des compagnies pétrolières qui le paient à prix d'or pour effectuer des plongées parfois difficiles et risquées. Son évolution au cours du récit m'a beaucoup intéressé et plu, car il est beaucoup plus humain et profond que son arrogance de départ ne pourrait le laisser croire. Son binôme Tom Paulsen est également un personnage attachant, même si trop peu présent à mon goût (début d'histoire avec Nina qui ne donne finalement rien – à moins que tout soit ouvert à notre réflexion …). Leur chef est Leif. Trois anciens plongeurs : Jacques Divalgo (qu'on prend un temps pour un polonais, Kowalski), Pet Pederson et Anta Laula prendront une place importante dans le récit cf. plus bas). Enfin, venons-en aux personnages des compagnies pétrolières et de la ville d'Hammerfest. Gunnar Dahl, responsable de la compagnie Norgoil, est un pourri. Afin que son entreprise fasse les meilleurs profits, il est prêt à sacrifier la vie de ses hommes, notamment des plongeurs (on le voit bien à la façon dont il traite Tom après son accident). Bill Steel, stéréotype du texan qui se croit partout chez lui, qui a tout vu tout fait, dégueu avec les femmes ; et Henning Birge… Et enfin, Markko Tikkanen, finlandais arrivé à Hammerfest, agent immobilier, prend un plaisir sans nom à compiler tout ce qu'il apprend de tous les habitants de la ville sur de petites fiches remplies et classées méticuleusement. Gras et repoussant, il a appris à jouer du mépris qu'il inspire à ses interlocuteurs pour les influencer et se sentir maître du monde. Ainsi il a promis à Nils qu'il pourrait avoir une maison en surplomb de la ville (ce qu'il sait totalement impossible), il a promis à Juva Sikku qu'il l'aiderait à monter sa ferme pour élever ses rennes s'il aidait Tikkanen à empêcher les éleveurs traditionnels à amener leurs rennes sur l'île de la Baleine. Il est l'un des personnages centraux du récit, car il fait tout pour sembler la zizanie parmi les habitants d'Hammerfest.

Plusieurs conflits d'intérêts plus ou moins larvés entrent en jeu dans cette histoire : 1 l'opposition entre les éleveurs traditionnels qui voudraient conserver les habitudes des transhumances et donc avoir la possibilité d'amener leurs troupeaux sur l'île de la Baleine et les gens de la ville d'Hammerfest, qui en ont assez de voir des rennes saccager leur jardin ; 2 l'opposition foncière entre ces mêmes éleveurs, qui ont besoin de bonnes terres pour leurs rennes et l'industrie pétrolière, qui voit son emprise sur ces terres riches s'étendre ; 3 l'opposition entre les anciens plongeurs (années 1970-1980), qui ont permis à la Norvège de s'enrichir grâce au pétrole de la Mer du Nord, sans aucune considération pour les risques qu'ils ont pris (problèmes de décompression trop rapide à une époque où cela était mal connu, avec des conséquences physiques et mentales affreuses) et les compagnies pétrolières, qui minimisent ces risques et n'ont rien à faire des anciens plongeurs une fois qu'ils ne servent plus à rien (cf. après l'accident de Tom Paulsen)
Un roman fort finalement, quand on y repense. Pas de tueur en série, mais une société avec ses problèmes actuels très bien décrites. L'action est assez lente, ce qui pourra décourager certains lecteurs. En persévérant, on en ressort avec un oeil un peu différent sur la Norvège et le tribut qu'on dû payer ses hommes pour en faire une grande nation productrice de pétrole dans les années 1970 et 1980.
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