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Critique de Bobby_The_Rasta_Lama


"Le Tao qu'on tente de saisir n'est pas le Tao lui-même;
le nom qu'on veut lui donner n'est pas son nom adéquat."

Un grand petit livret à la simplicité compliquée, qui recèle un mystère plus profond que la profondeur elle-même.

Selon une vieille légende chinoise, Lao Tseu l'a écrit en quatre jours. Dans sa vieillesse, il décida de quitter la cour impériale pour se réfugier dans la solitude, mais il fut arrêté par le gardien de la frontière qui l'a reconnu, et qui l'autorisa à partir qu'à condition de coucher d'abord toute sa sagesse par écrit. Dès que le maître acheva cette tâche, il quitta la ville sur le dos d'un boeuf, et personne ne l'a plus jamais revu.

Le livre est classé parmi les textes fondateurs qui ont contribué a former notre vision du monde, et reste la source principale de la peinture et de la poésie chinoises. Sa version finale, découverte dans une tombe de Guodian en 1993, date de 350 av. J.-C, et son importance philosophique est aussi considérable que la découverte des manuscrits de Qumran pour les études bibliques. Elle revient vers l'ancien Tao cru ; elle est forte, archaïque et étrange.
C'est néanmoins un livre profitable, même si je suis totalement consciente que son apparente simplicité peut être on ne peut plus traîtresse, sans même penser aux difficultés de sa traduction et à ses nombreuses versions et interprétations diverses. Quoi qu'il en soit, j'ai bien fait d'y revenir après toutes ces années, car l'enseignement du sage Lao m'a permis de surmonter l'insurmontable... à savoir le souci babéliote avec la disparition des espaces vides entre les paragraphes. Créer du vide à l'aide du plein, telle est la réponse ! Je suis certaine qu'on y trouve même la solution du célèbre "to be or not to be ?" d'Hamlet : si on se lance sur la Voie, l'être et le non-être deviennent aussi complémentaires que le principe du Yin et du Yang, et tout l'éventuel questionnement concernant la possibilité du non-être babéliote devient vite superflu et risible. Ceci dit, n'oublions pas le subtil avertissement du Maître, qui pense que "le monde n'a pas de normes, car le normal peut se faire anormal et le bien peut se transformer en monstruosité".

Il est certain que depuis l'époque qui a vu naître ces textes beaucoup de choses ont changé, et l'appel de l'auteur au retour absolu vers la nature, au rejet de tout savoir et toute culture, n'aurait plus convaincu même le plus vert de tous les écologistes modernes. Mais il vaut toujours une réflexion, ainsi que ses aphorismes sur le pouvoir et ses dirigeants :
"Ainsi un homme de bien se contente-t-il d'être résolu, sans user de sa force. Qu'il soit résolu sans orgueil. Qu'il soit résolu sans exagération. Qu'il soit résolu sans ostentation. Qu'il soit résolu par nécessité. C'est en ce sens qu'il est résolu, sans s'imposer par la force."
L'avertissement suivant pourrait paraître tout aussi éloquent au lecteur actuel, abruti par les éternels mantras sur le succès et l'assertivité :
"Actuellement, on dédaigne la mansuétude pour être courageux ; on dédaigne la modération pour être libéral ; on dédaigne d'être le dernier pour être le premier. C'est la mort !"
Par moments, les pensées de Lao Tseu s'approchent vraiment de la vision chrétienne ; si ces lignes n'étaient pas aussi anciennes, on pourrait presque les confondre avec les évangiles :
"Pourquoi les anciens estimaient-ils tant la Voie ? Ne disaient-ils pas : "Qui cherche trouve par elle ; qui commet un forfait échappe par elle ?" C'est pour cela qu'elle est en si haute estime dans le monde."

Le motif central de toutes les réflexions est le respect de la vie, et le refus de la violence sous toutes ses formes, y compris tous les efforts et désirs qui pourraient potentiellement mener à la violence.
Au moment où l'homme arrête de créer (les illusions dans son esprit) il devient capable de voir la Création ; au moment où il arrête de parler, il va entendre la voix du Tao. Ceci est à peu près le principe de la philosophie taoïste du non-agir (wu wei) : si j'arrête d'agir, le Tao peut se manifester dans toute sa splendeur.
La vertu qui en résulte est donc un peu en dehors de ce monde ; une vertu presque amorale et cynique, qui polémique avec les préceptes rigoureux du confucianisme, et avec la vertu morale codifiée par les lois humaines. Un saint taoïste devient un parfait antagoniste d'un saint confucianiste, par sa sagesse paradoxale du non-agir indocile, ironique et archi-individuel. Il provoque par son silence, son savoir s'approche de celui de Socrate ("je sais que je ne sais rien"), et sa sagesse de la folie d'Erasme.
Tandis que certains passages et conseils simples semblent clairs et instructifs, d'autres nous font comprendre à la fois tout et rien du tout. C'est probablement aussi la raison pourquoi le livre reste une friandise tant pour les philosophes et les théologiens, que pour toutes sortes de mystiques, blogueurs New Age et fans d'Antoine Volodine.
"Ne pas considérer savoir comme savoir est le comble.
Considérer ne pas savoir comme savoir est une peste.
En effet, c'est seulement en considérant cette peste comme une peste, qu'on ne souffre pas de la peste.
Le Saint ne souffre pas de la peste, parce qu'il considère la peste comme une peste ; de là vient qu'il ne souffre pas de la peste."
5/5 en pestant sur ma légère envie de pester....
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