Citations sur Présumé innocent (25)
Je me demandais souvent au début ce qu’on devait ressentir en se sachant au centre de l’attention générale ; lorsqu’on s’entend aussi brutalement accuser devant tout le monde en comprenant que les petits attraits d’une vie ordinaire – la confiance des siens, le respect pour sa personne, la liberté même – ont été abandonnés au vestiaire, sans doute à jamais. Je sentais la peur, cet anéantissement soudain, l’abîme qui s’ouvrait.
Si je devais décrire mon père, je dirais qu'il avait une tête de gargouille et un cœur de dragon avec des écailles. Ses voies émotionnelles étaient trop emmêlées, serrées, étranglées, emplies de dépit, pour éprouver le moindre sentiment à l’égard d'un enfant.
Le problème, s’il y a problème, c’est l’homme et ses limites internes. Il sépare nettement son métier de sa vie privée, et peu doivent franchir cette frontière.
Ceux qui sont chargés de faire respecter la loi ne craignent-ils pas souvent des représailles de la part des personnes qu’ils ont fait condamner ? Ces représailles ne sont-elles pas malheureusement trop fréquentes ? La sanction pénale serait-elle possible si les prosecutors et les policiers pouvaient être agressés, mutilés, assassinés par ceux sur lesquels ils doivent enquêter ?
La sagesse veut que l’on prenne tout ce que le témoin peut vous offrir de bon avant de l’assommer.
Je ne m’inquiète pas des difficultés que j’aurai à trouver du travail dans la justice si je suis acquitté. Mais cet épuisement émotionnel, l’impossibilité de dormir, cette angoisse terrible que je ne peux ni ignorer ni minimiser. Le pire, ce sont ces réveils au milieu de la nuit et ces quelques secondes précédant le moment où je suis pleinement conscient, quand j’ai la conviction de vivre à jamais sous l’emprise de cette terreur. C’est comme chercher le commutateur dans le noir, et de n’être pas certain – l’épouvante est là à son point culminant –, de n’être pas certain de le trouver.
Un professionnel des enquêtes criminelles ne serait pas assez fou pour changer ses tapis, ou même pour jeter ses vêtements, car il est trop facile de les retrouver. Mais il ne garderait l’arme en aucun cas.
La vie est simplement une expérience ; pour des raisons encore obscures nous essayons de continuer.
Eugénia est obèse, célibataire, d’un âge incertain et semble le plus souvent déterminée à le faire payer aux autres. Elle ne tape que de très mauvaise grâce, refuse qu’on lui dicte, et je la surprends plusieurs fois par jour à fixer le téléphone d’un œil vaseux et méchant pendant qu’il sonne. On ne peut évidemment pas la virer, ou même la rétrograder, car la fonction publique, comme tout bon béton, est armée.
C’était très excitant pour moi de rencontrer une femme, à qui l’on semblait donner la lie de la terre, qui était capable de se mouvoir dans le monde à une telle vitesse, et qui était si différente des autres.