Mais comment en suis-je arrivée là ? Comment ai-je fait pour devenir cette femme qui n'a rien à voir avec moi ?
Depuis quelques temps elle se sentait si… Comment dire ? Vide, abattue, à plat. ET cela ne faisait que s’accentuer de jour en jour. Le matin, c’était un cadavre qu’elle avait l’impression de traîner hors du lit. Dans son assiette, plus rien n’avait de goût. La moindre conversation l’obligeait à mobiliser tous ses muscles, à requérir ses dernières parcelles de force. Elle ne cessait de constater qu’il y avait bien peu de choses dont on pouvait parler en ce monde.
Les pires jours, c’était ceux où elle avait le temps de penser. Elle se disait alors : mais qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire de toutes les années que j’ai devant moi ? Ces jours chaotiques, où elle se contentait de répondre aux diverses exigences qui se présentaient minute après minute, étaient les plus faciles.
Elle s’était souvent dit que, pour s’assurer l’adoration sans bornes de sa famille, le meilleur moyen était de l’abandonner. »** »Et elle songea combien sa vie aurait été simple et sans histoires s’il n’y avait pas eu l’amour.
Il était une fois une femme qui s’aperçut un beau jour qu'elle était devenue étrangère à elle-même.
Elle avait alors cinquante-trois ans. Elle était grand-mère. Large et plantureuse, le visage creusé de fossettes et encadré de deux ailettes blondes de cheveux secs qui partaient du milieu pour se déployer carrément à l'horizontale. Des rides d'expression au coin des yeux. Des tenues amples et bariolées qui flirtaient dangereusement avec des frusques de clocharde.
Accordons lui cependant un mérite : la plupart des gens de son âge auraient décrétés qu'il était trop tard pour y remédier. Ce qui est fait est fait, auraient-ils dit. A ce stade, inutile d'essayer de changer quoi que ce soit.
Certes, Rebecca y songea. Mais elle n'en fit rien.
La vraie vie c’est celle que tu as là, devant toi, peu importe laquelle. Le tout, c’est de faire du mieux que tu peux avec ce que tu as.
Elle sentait qu’elle était déjà passée par là, elle le savait : ce découragement, cette impression d’écrasement, d’étouffement.
Elle en avait par-dessus la tête de faire tous ces efforts sur elle-même pour se conduire aimablement.
On dirait qu’il me manque un talent qui va de soi pour tout le monde.
Le vœu d’être digne, un point c’est tout.