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Critique de berni_29


Lézardes est un recueil de nouvelles sur des douleurs inconsolables, celle de la guerre, de la barbarie, celle de la vie broyée qu'on croyait éternelle. Dix-huit récits peuplent ce recueil, dont trois sont des contes du Rwanda d'autrefois. Les quinze autres prennent pied dans l'horreur d'une réalité qu'on voudrait qu'elle n'eût jamais existé, celle d'un génocide, celui des Tutsi au Rwanda en 1994.
Ce sont des voix d'enfants qui nous parlent ici, quinze récits qui traversent le temps de 1984 à 2074... Oui, vous avez bien lu, 2074, une manière de construire le futur de manière durable lorsque tout a été anéanti. Ce sont des voix d'enfants, des voix multiples, leur mère n'est jamais loin.
Ne vous fiez pas à la douceur des mots, à la délicatesse qui caresse ces récits au ton si juste, si vous vous penchez de près au plus près de la page, vous entendrez sourdre la violence, les cris, le bruit de la mort et puis, écartant les phrases comme un rideau vous verrez alors l'horreur innommable.
Des enfants sont devenus parents et à présent jouent avec leurs enfants, jouent parfois à cache-cache dans un endroit protégé du malheur du monde, parfois en Europe. Et ce sont brusquement les murs qui se lézardent, la terre qui tremble, le sol qui s'ouvre comme une trappe béante sur l'abîme du passé. Une mère se souvient alors d'avoir été enfant, devant courir puis se cacher sur les ordres de ses parents, faire le silence, tandis que la rue s'éventrait à coup de machettes dans des flots de haine, de barbarie... Mais se cacher où ? Même les voisins devenaient alors une menace.
Ici l'innocence côtoie la tragédie.
Ce sont des récits littéraires qui ressemblent à des fables, avec parfois un côté presque onirique, des tranches de vies peuplées de nostalgie et d'envoûtement, chaque récit ouvre une lézarde de plus sur un mur, un mur supposé protéger la vie, protéger les enfants, protéger contre les guerres, contre le mal, contre ce qui détruit la vie.
Les lézardes sont comme des mensonges, des rides, le temps qui est venu trop vite, à coup de machettes... On voudrait protéger les enfants comme on peut, ils ont grandi avec cela, ce passé qui ne s'effacera jamais, même dans le jeu innocent d'un cache-cache longtemps après...
Beata Umubyeyi Mairesse avait quinze ans lorsqu'elle survécut là-bas au génocide, y échappant de peu, se cachant comme d'autres enfants là où s'était possible, dans une cave, à deux pas où rodait la mort...
Derrière les mots, il y a les non-dits qui hurlent et c'est une douleur insupportable qui arrache des larmes. Comment ne pas s'émouvoir devant cette mère qui cogna désespérément son ventre violé et l'enfant qui s'apprêtait à naître de ce malheur, tandis que le frère déjà grand était déjà prêt à accueillir cette petite soeur qui n'avait rien voulu de cela et fut là pour la protéger, prendre soin d'elle... Il est alors devenu bien plus qu'un grand frère...
Quinze histoires pour dire la nostalgie d'une terre qui s'est engouffrée dans la terreur durant quelques jours de l'année 1994.
Les vies s'enchevêtrent ici comme les vivants parmi les morts, comme les morts entassés dans un charnier qu'on découvrira plus tard par hasard, comme les vivants parmi les vivants, comme les enfants parmi leurs parents qui furent des enfants en 1994...
Il faut bien alors rafistoler dans ses souvenirs cette enfance qui revient comme une lézarde sur le mur.
Quinze textes ciselés dans la justesse des mots qui disent l'émotion, pour construire une mosaïque de portraits touchants, parfois drôles, souvent douloureux, à fleur de peau, épris de désenchantement, de magie et surtout envoûtés d'espoir.
Merci Meps de m'avoir fait découvrir ce livre et son auteure.
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